Quand Khrouchtchev raconte dans ses Mémoires la crise des missiles de Cuba, il compare les États-Unis au chat de cette fable. La popularité de Krylov, grand-père de la poésie russe, résiste aux changements de régime : en 2017, Poutine – un agneau ! – le cite pour justifier ses interventions en Ukraine face au loup américain. 

Un Cuisinier dont l’ouvrage était fait, 
Avait après dîner déserté sa cuisine, 
Pour aller boire au cabaret. (…) 
Il avait mis en sentinelle 
Mignon, son favori, qui du peuple des Chats 
Était le plus parfait modèle. (…) 
Mais de son maître, hélas ! l’absence se prolonge. 
Tout s’use avec le temps, même la loyauté ; (…) 
Bref, la faim l’emporta sur la fidélité ; 
Et quand le Cuisinier revint à son service, 
Il ne trouva plus dans l’office 
Que les débris de son pâté. (…) 
Le Cuisinier éclate ; et, contre le fripon, 
Il déchaîne son éloquence. 
« Coquin, voleur, scélérat de Mignon, 
Pourras-tu désormais soutenir ma présence ? 
Pourras-tu sans rougir habiter la maison ? 
Toi, qui fus jusqu’ici le Chat le plus honnête ; 
Toi, qu’on citait avec honneur 
Pour un exemple unique, une image parfaite 
De tempérance et de candeur ; 
Quelle honte pour toi ! quel affront pour ton maître ! 
Tous les voisins diront en te voyant paraître : 
Mignon est un coquin ; Mignon est un voleur. 
Fermez, fermez la porte à sa gloutonnerie. 
Il est pire qu’un loup dans une bergerie. 
C’est une peste, un destructeur. » 
Mignon pendant ce temps achevait sa pitance ; 
Et, plus indifférent qu’un juge à l’audience, 
Il laissait prêcher l’orateur. 
 
Pour corriger les Chats et la plupart des hommes, 
Il ne faut pas toujours leur étaler 
De sublimes discours et de beaux axiomes. 
Agir dans certains cas vaut mieux que de parler.

Imitation en français par Viennet
Fables russes tirées du recueil de M. Kriloff, t. 2, Bossange, 1825

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