Combien de temps, combien de sang faut-il pour que sorte au forceps la vérité d’un génocide, ou ce qui peut tenir lieu de récit accepté par ses protagonistes ? S’agissant du massacre des Tutsi par les Hutu au printemps 1994, avec un bilan compris entre 800 000 et 1 million de morts en cent jours, la réponse est vingt-sept ans. Il aura fallu attendre toutes ces années pour qu’après la tentation du déni, les tentatives visant à détourner l’histoire de son cours, celle-ci finisse par rentrer dans son lit comme un fleuve enfin dompté, charriant démons et chimères, innocents massacrés et tueurs extrémistes au nom d’une idéologie raciste. La parution coup sur coup du rapport Duclert, issu du travail d’une commission d’historiens et de chercheurs sur les archives françaises pendant deux ans, à la demande du président Macron, et du rapport du cabinet d’avocats américain Muse, démarche parallèle commandée par les autorités rwandaises, témoigne d’une volonté partagée par Paris et Kigali : s’entendre sur des faits et sur les responsabilités, afin de parvenir à ce que le président du Rwanda Paul Kagamé a qualifié d’une « forme d’épilogue ».

Sans doute ce travail de mémoire auquel est fortement attaché Emmanuel Macron – sur le génocide des Tutsi comme sur le rôle de l’armée française pendant la guerre d’Algérie – n’est-il pas exempt de critiques. « Le rapport Duclert est une contribution à la vérité au Rwanda, il n’est pas la vérité », estime l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve (Le Monde du 19 mai), jugeant que si ce rapport est « honnête sur bien des aspects, ses conclusions témoignent d’une approche peu nuancée ». À l’évidence, la mise en lumière des responsabilités directes de l’Élysée, de François Mitterrand et de son état-major, dans l’aide aux génocidaires, heurte les positions défendues par les proches collaborateurs de l’ancien président socialiste, en particulier Hubert Védrine qui, dans le 1 no 140 (« Rwanda, la vérité piégée », 1er février 2017), avait au contraire mis en avant le rôle clé de la France pour tenter d’enrayer le pire. « Ce qui a été tenté, disait-il, a été honorable de bout en bout ».

Les documents rassemblés et analysés par les historiens contredisent cette vision, comme aussi le témoignage du grand reporter Patrick de Saint-Exupéry présent au Rwanda avant, pendant et après le génocide, et bien d’autres voix qui se font entendre dans ce numéro, de l’artiste Gaël Faye à la militante Jessica Gérondal Mwiza, en passant par Alain Gauthier qui traque les génocidaires en France. Le dossier est loin d’être clos. En particulier pour savoir à jusqu’à quel point les responsables sont aussi, ou non, coupables. 

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