« Le verrou des archives et de la vérité a sauté »
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Pourquoi a-t-il fallu tout ce temps – vingt-sept ans – pour que puisse être accompli ce travail d’élucidation des faits sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi ?
Ce travail n’a pas attendu notre rapport pour se réaliser, il s’est même accompli simultanément aux événements. Ainsi le chercheur Jean-Pierre Chrétien a-t-il méthodiquement documenté et analysé le processus génocidaire, identifié et dénoncé le génocide des Tutsi. Depuis 1994, nombreux sont les historiens (Stéphane Audoin-Rouzeau, Hélène Dumas, Marcel Kabanda…), les juristes (Géraud de La Pradelle, Rafaëlle Maison, Ornella Rovetta…), mais aussi les enquêteurs de terrain (Jean-François Dupaquier, Pierre Lepidi, Patrick de Saint-Exupéry…) qui tentent de connaître et de comprendre le génocide des Tutsi et l’implication française dans l’événement.
Ce qui est inédit, ce sont cette communauté de chercheurs que nous avons réunie dans la commission de recherche, le caractère entièrement collectif des travaux comme de leur conclusion, l’exploitation systématique dans ce cadre des fonds d’archives français et la réception d’un rapport de plus de 1 200 pages au sommet de l’État le 26 mars dernier. J’ajoute aussi l’impact très positif de ce partage de la vérité historique avec la société.
On observe un apaisement des conflits mémoriels et un rapprochement entre deux pays, la France et le Rwanda, dont les relations étaient jusque-là dominées par une forme de guerre idéologique de vive intensité. Les oppositions au rapport de la commission de recherche et à celui du cabinet d’avocats américain Muse, publié trois semaines plus tard, proviennent des cercles qui ont conduit la politique française il y a trente ans ou qui s’en estiment solidaires. Leur refus de la vérité historique est patent, mais les verrous cèdent. La décision du président de la République de permettre à une commission de réaliser une recherche de grande ampleur, ainsi que celle de rendre publiques toutes les archives citées et référencées font voler en éclats ces blocages.
Le rapport de votre commission conclut à un « ensemble de responsabilités lourdes et accablantes de la France ». Pouvez-vous en détailler les principales ?
Les autorités décidant et exécutant la politique de la France au Rwanda ont choisi un alignement constant sur un régime raciste, corrompu, violent, dont elles espéraient une évolution, mais sans s’en donner les moyens et en accordant tout à ce régime, celui du général président Habyarimana, sans rien exiger fermement – ni le renoncement à la persécution des Tutsi ni l’application des accords d’Arusha.
Cette politique a entraîné le déploiement ininterrompu, jusqu’en décembre 1993, de forces spéciales sous la forme d’un soutien indirect – aux limites de l’engagement direct – hors de tout cadre juridique, puisque l’accord d’assistance du 18 juillet 1975 ne concernait que le volet de la formation et de l’instruction de la gendarmerie. Envoyées pour renforcer la capacité opérationnelle des forces armées rwandaises luttant militairement contre les offensives du Front patriotique rwandais (FPR), et officiellement chargées de la protection de nos ressortissants, les forces françaises ont apporté une aide décisive à un régime réprimant systématiquement les droits de l’homme, ainsi qu’à ses courants extrémistes hutu organisant la persécution tutsi.
L’engagement français a reposé sur des schémas idéologiques sans relation avec la réalité du Rwanda et de la région des Grands Lacs : l’obsession des influences ang
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