Les soupçons de corruption à la FIFA dans l’octroi de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar n’ont pas surpris grand monde. Cette attribution n’avait jamais fait l’unanimité. Mais au cœur des critiques à l’encontre du Qatar a émergé une autre dimension : celle des conditions de travail des dizaines de milliers d’ouvriers migrants qui œuvrent sur les chantiers de construction des stades, hôtels, lignes de métro et autoroutes, lancés en vue de l’événement.

En France, le débat a été relancé en mars quand l’association Sherpa a porté plainte pour travail forcé contre le groupe français Vinci et sa filiale qatarie QDVC. L’association a évoqué « des conditions de travail et de logement indignes, pour une rémunération sans rapport avec le travail fourni et effectué sous la contrainte de menaces ». Le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire. Vinci a réfuté en bloc ces accusations et répliqué par une plainte en diffamation. 

L’émirat fait travailler des centaines de milliers d’ouvriers venus principalement du Népal, d’Inde, du Bangladesh et des Philippines. Plus généralement, les travailleurs étrangers constituent aujourd’hui plus des trois quarts de la population de l’émirat. Mais ils ne bénéficient que de droits très limités. 

La loi dite du kafala, ou parrainage, les soumet au bon vouloir de leurs recruteurs. Tout travailleur étranger, qu’il soit ouvrier migrant ou cadre expatrié, doit avoir un tuteur qatari, le plus souvent l’employeur, pour entrer dans l’émirat. Une fois sur place, il en devient complètement dépendant et ne peut pas changer d’emploi sans son autorisation. Pour quitter le pays, il lui faut un visa de sortie octroyé par l’employeur. S’il refuse, l’ouvrier se retrouve coincé au Qatar. La confiscation des passeports par les employeurs est une pratique largement répandue. Il est accessoirement interdit aux travailleurs étrangers d’adhérer à tout syndicat.

Les ONG Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent depuis des années des situations proches du travail forcé : salaires impayés, travailleurs mis en prison lorsqu’ils tentent de fuir un employeur abusif, logements surpeuplés et misérables, semaines de travail de 60 heures sous plus de 40 degrés… Les associations internationales pointent, enfin, les très nombreux décès sur les chantiers. En 2014, la Confédération syndicale internationale (CSI) a estimé que 1 200 travailleurs indiens et népalais étaient morts au Qatar depuis 2010. 

« Toutes les grandes entreprises du bâtiment sont présentes au Qatar. À Doha, sur le chantier du quartier de Msheireb, neuf grands groupes sont actifs, chacun avec des dizaines de sous-traitants, pour 13 000 travailleurs en tout. La précarité y est terrible », rapporte le syndicaliste Gilles Letort, représentant à la CGT construction, qui a visité les chantiers qataris à plusieurs reprises.

« Chaque collaborateur de notre filiale QDVC bénéficie d’un libre accès à son passeport et les temps de travail et de repos sont strictement observés », a répondu Vinci à la plainte de l’ONG Sherpa, tout en admettant qu’avant janvier 2015 les passeports des ouvriers migrants étaient conservés entre les mains de l’employeur – pour les garder en sécurité, selon l’entreprise. « Nous avons construit de nouveaux logements pour offrir en début d’année à nos ouvriers de meilleures conditions d’hébergement », précisait aussi le groupe. Ces nouveaux logements ne concernent que les salariés directs de QDVC, soit environ 3 400 personnes. Mais les accusations de Sherpa visent aussi le sort des employés des sous-traitants sur les chantiers de l’entreprise française, à savoir 2 750 personnes. Pour améliorer les conditions de travail de ces ouvriers-là, le groupe assure avoir imposé des cahiers des charges à ses sous-traitants, et congédié certains d’entre eux.

La plainte de Sherpa concerne également les salaires des ouvriers migrants. Ceux-ci, selon l’association, vont de 180 à 500 euros mensuels. Le directeur des ressources humaines de Vinci, Franck Mougin, fait pour sa part état d’un salaire moyen de 700 euros par mois. Mais il concède que les manœuvres non qualifiés sont payés l’équivalent de 200 euros. Une misère dans un des pays les plus riches du monde, où le PIB par habitant (plus de 93 000 dollars) dépasse celui de la Suisse. 

L’émirat s’est contenté pour l’instant de s’engager dans un grand plan de construction de logements pour 250 000 travailleurs migrants. La perspective de pouvoir dormir sous un toit décent sans le bénéfice de droits sociaux élémentaires.  

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