La France a-t-elle besoin du Qatar ?

La France n’a pas un besoin existentiel du Qatar mais le poids économique de l’émirat a explosé depuis les années 2000, ce qui rend la relation franco-qatarie d’autant plus intéressante. Les Qataris sont présents chez nous en investissant régulièrement leurs capitaux dans nos entreprises. Inversement, nous sommes présents au Qatar avec une soixantaine de filiales, rassemblées autour d’énormes contrats, comme le métro de Doha. C’est Total qui investit en amont et en aval de la filière pétrolière, Vinci Construction dans un projet de pont entre le Bahreïn et le Qatar, Bouygues dans l’immobilier… On estime à un ou deux milliards d’euros par an les échanges commerciaux entre nos deux pays. 80 % de l’armement militaire qatari provient de France, à l’instar des 24 avions de combat Rafale vendus en mai dernier.

Les intérêts français pour le Qatar sont-ils seulement économiques ?

Le Qatar est également un très bon médiateur ; il a pu le montrer lors de la crise au Liban en 2008. Et même si son engagement dans les révolutions arabes a brouillé son image habituelle de neutralité [le Qatar soutient les Frères musulmans], la France a travaillé à ses côtés en Syrie et en Libye. 

On lit souvent dans la presse que la France se laisse acheter par le Qatar. Comment expliquer cette défiance ?

Le pouvoir du Qatar est largement sur­estimé. La société française ne comprend pas que l’on est dans une nouvelle phase de la mondialisation : il y a des acteurs nouvellement riches, comme le Qatar, et des anciens qui ont besoin d’investis­sements, comme la France. Leurs objectifs se rejoignent. Mais le Qatar a pu mal communiquer sur ses intentions qui ne sont pas que financières. Acheter le PSG, c’est aussi s’attribuer les valeurs positives du sport ; investir en France, c’est pousser un pays important comme le nôtre à s’intéresser à la survie de l’émirat, face aux deux géants iranien et saoudien… 

La France peut-elle devenir trop dépendante du Qatar à cause du gaz ? Dans votre livre, vous précisez que l’Union européenne souhaite en importer moins de Russie et augmenter la part du gaz qatari. 

Non, nous ne serons pas davantage dépendants. Ce n’est pas notre seule source d’approvisionnement : la France importe d’Algérie par exemple. En revanche, on le sera moins de la Russie, ce qui est sain. 

HEC est la première grande école non anglophone à s’être implantée à Doha, en 2010. Comme les États-Unis, la France cherche-t-elle à influencer les futurs dirigeants qataris ? 

J’aimerais vous répondre que oui, mais la France ne prend pas assez au sérieux sa capacité d’influence. HEC est à Doha uniquement à la demande du Qatar. De même, on parle du projet avec l’école militaire Saint-Cyr depuis 2006, mais il n’a toujours pas abouti. 

Les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy se sont particulièrement bien entendus avec l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani. Les intérêts français pour le Qatar reposent-ils sur une camaraderie ? 

Disons que la bonne entente entre ces hommes politiques compte car la relation franco-qatarie est jeune ! Ce n’est pas comme avec les États-Unis, dont la France est un allié historique : quelle que soit la présidence, et même sous Bush junior, les deux pays restent liés. Rappelons que le Qatar se rapproche de la France à partir des années 1980, quand il se brouille avec les États-Unis. Mais c’est avec Jacques Chirac, connu pour sa politique arabe, qu’une vraie relation s’installe. La France est ­d’ailleurs l’un des premiers pays à reconnaître le nouveau pouvoir du cheikh Hamad, après son coup d’état en 1995. Surtout, c’est un coup de foudre avec Nicolas Sarkozy, jusque dans les couples puisque Carla Bruni-Sarkozy s’entend très bien avec la cheikha Mozah.

Et François Hollande ?

Les relations sont toujours bonnes mais le Président se recentre sur l’Arabie Saoudite. Avec Nicolas Sarkozy, la France se concentrait sur le Qatar… C’était sans doute déséquilibré.  

Propos recueillis par CLARA WRIGHT

 

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