L’année 2015 se présente pour le Qatar comme celle d’une « normalisation ». Cet État, indépendant depuis 1971, est en retrait par rapport aux dernières années. Jusqu’alors, il manifestait une suractivité diplomatique inversement proportionnelle à sa superficie et à son poids démographique : 2 millions d’habitants pour quelque 200 000 nationaux seulement. Mais le Qatar fait figure de géant, puisqu’il est assis sur 14 % des réserves mondiales de gaz naturel, dont il est le troisième détenteur (avec environ 26 milliards de mètres cubes de réserves) et le troisième producteur, après la Russie et l’Iran. Avec ce dernier pays, le Qatar partage d’ailleurs l’un des plus grands gisements offshore du monde.

Cette richesse insolente a offert au « petit  Qatar », demeuré longtemps dans l’ombre de son puissant voisin saoudien, des moyens financiers colossaux. Son ambition : obtenir un poids géopolitique majeur au Moyen-Orient, voire dans le monde arabo-musulman. Cette conviction lui a rapidement valu de solides inimitiés, y compris parmi ses « frères » pétro­monarchiques du Conseil de co­opération du Golfe (CCG). Cet organisme, dont le Qatar est membre fondateur depuis 1981, apparaît comme une sainte alliance des monarchies du Golfe sous l’ombre protectrice de l’Arabie saoudite. Il inclut dans ses rangs, outre le Qatar, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le sultanat d’Oman. 

Des tensions sont apparues en son sein de manière de plus en plus explicite à la faveur des « printemps arabes ». Durant ces années, le Qatar, manifestement dévoré d’ambition, a voulu tirer profit de ce qu’il estimait être une fenêtre d’opportunité géopolitique. L’émirat, déjà sponsor avéré de la mouvance des Frères musulmans, dont l’idéologie se trouvait largement relayée par sa chaîne emblématique Al-Jazeera, a dès lors cherché à développer une OPA sur l’islamisme politique. Le Qatar a également soutenu les Frères musulmans via des groupes islamistes dans la Libye post-Kadhafi ainsi qu’en Syrie. Une sympathie loin de faire l’unanimité parmi les pays frères  du Qatar. 

De fait, les voisins de l’émirat, pays ultraconservateurs sur le plan politique, se sont retrouvés entraînés par l’Arabie saoudite, devenue fer de lance d’une forme de contre-révolution. Celle-ci comportait la mise en œuvre d’une stratégie résolument « anti-frériste » : le potentiel déstabilisateur des Frères musulmans ne pouvant qu’inquiéter fortement ces pétromonarchies. Pour Doha, le rappel par ses partenaires du Conseil de coopération du Golfe (CCG) de leurs ambassadeurs, en 2014, avait constitué un signal et un tournant. Les États entendaient condamner ostensiblement le « non-respect » par Doha de l’« accord de sécurité » entre ses membres validé à Riyad en novembre 2013 et son refus de s’entendre sur une politique unifiée. Il était également reproché au Qatar de ne pas « garantir la non-ingérence de façon directe ou indirecte dans les affaires internes de chacun des pays membres par le biais d’individus, d’organisations et de médias hostiles », un euphémisme visant à dénoncer la persistance du soutien de Doha aux Frères musulmans, malgré ses dénégations. 

En février 2014, les Émirats arabes unis avaient déjà rappelé leur ambassadeur à Doha pour protester contre des propos de l’influent « télécoraniste » Youssef Al-Qaradawi, stigmatisant à longueur d’antenne la famille régnante à Abu Dhabi pour son hostilité envers les Frères musulmans. Le Qatar avait fini par comprendre qu’il fallait donner des gages afin de réintégrer le giron du CCG. Le 13 septembre 2014, il avait donc enjoint sept hauts cadres de la confrérie, dont son secrétaire général Mahmoud Hussein, tous réfugiés dans l’émirat depuis le coup d’État du général Sissi, de quitter leur havre de Doha. La réconciliation au sein du CCG pouvait commencer. Un sommet surprise de l’organisation, le 16 novembre 2014, décidait du retour des ambassadeurs saoudien, bahreïni et émirati au Qatar, mettant un terme à huit mois de tension. 

Le fait que le Qatar soit désormais moins ostracisé par ses pairs coïncide avec l’avènement, en janvier 2015, du nouveau roi Salman en Arabie saoudite. Ce dernier est persuadé que les Frères musulmans constituent un danger beaucoup moins grand que l’Iran. Cette conviction a elle aussi contribué à renouer les liens entre Riyad et Doha. Les premiers effets de leur rapprochement se sont déjà fait sentir sur le théâtre syrien avec les succès engrangés, notamment dans la région d’Idleb, par une opposition armée. Les réunions récentes entre Tamim ben Hamad Al-Thani, le nouvel émir du Qatar, et le prince héritier saoudien, Mohammed ben Nayef, que l’on dit « qataro­phile », ont sans doute accéléré cette réconciliation stratégique. 

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