Faut-il envoyer en prison pour une durée significative l’ensemble des élus et la totalité du gouvernement ? Après tout, ce sont des hommes bien au courant de ce qu’étaient les geôles de la Révolution qui reprirent les principes de Beccaria : douceur, sûreté et légalité des peines, souci d’assurer l’hygiène dans les établissements, création d’une Société royale pour l’amélioration des prisons, mise en avant de la prévention, prise en compte du rapport de Tocqueville et Beaumont sur le système pénitentiaire américain. C’est Clemenceau, ancien détenu de la terrible prison de Mazas, qui porta un coup décisif à l’arbitraire des directeurs d’établissement et assura aux gardiens le bénéfice des lois sociales. Ce sont les anciens résistants, conduits par leur engagement à découvrir l’univers carcéral, qui promurent la réforme Amor, à qui l’on doit l’entrée dans les prisons des assistantes sociales, des éducateurs, des psychologues, des orienteurs, des enseignants et la rénovation de 25 des 163 maisons d’arrêt. 

Mais le balancier revient toujours en arrière. Après la prise de conscience née des révoltes des années 1970, la Loi sécurité et liberté sonna le glas des espoirs symbolisés par la main tendue de Valéry Giscard d’Estaing aux détenus d’une centrale où il avait déclaré : « La prison ce doit être la privation de liberté, et rien d’autre. » Sisyphe trouverait que faire rouler son rocher n’est qu’un exercice de musculation comparé à la réforme d’une situation qu’un rapport du Sénat a qualifiée d’« humiliation de la République », en rappelant avec un humour sombre que l’encellulement individuel est exigé par notre droit depuis 1875. 

On dispute des responsabilités de la stagnation, voire de la détérioration de cette situation. Ceux qui stigmatisent à raison les peines planchers de Sarkozy et la loi Hortefeux sur la sécurité intérieure n’ont longtemps pas fait mieux et, en matière pénitentiaire, la gauche aura été le ministère du verbe. Robert Badinter crut sa mission accomplie avec l’abolition de la peine de mort et se montra incapable de mettre en place une politique pénale, au-delà de mesures d’aménagement comme la suppression de la tenue de prisonnier, l’autorisation de la télévision et les parloirs sans séparation. Sous les deux ministres de la Justice du gouvernement Jospin, on passa de 50 000 à 59 000 détenus. 

Si brouillonne et babillarde qu’elle fût, Christiane Taubira aura réussi, enfin, à tracer un nouveau chemin avec sa loi d’individualisation des peines. Intelligemment préparé par une conférence de consensus, ce texte prend acte de l’inutilité des emprisonnements de courte durée et, le plus souvent, de leur nocivité. Il instaure de réelles alternatives à l’enfermement et de réalistes aménagements de peine. La prison n’est plus qu’une des réponses possibles. La question des soins psychiatriques est posée. La réitération des délits et des crimes est utilement distinguée de la récidive, car l’opinion s’indigne moins qu’un gangster commette un hold-up en sortant de prison qu’elle ne s’effare d’apprendre qu’un violeur était « connu des services », bien avant qu’il n’étrangle son ultime victime. Tout est donc pour le mieux et il ne manque rien pour la réforme. Rien, sauf le budget et la volonté sans lesquels elle restera lettre morte. Faut-il, donc, envoyer en prison pour une durée significative l’ensemble des élus et la totalité du gouvernement ? 

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