« Une vie arrêtée, c’est l’inverse de la réinsertion »
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Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’avoir des contacts avec la prison et les détenus. Ma dernière visite dans un établissement pénitentiaire, je l’ai effectuée récemment dans le cadre de ma mission sur la lecture. L’idée n’est pas seulement d’ouvrir les bibliothèques le dimanche – et les autres jours. C’est aussi de multiplier les accès aux livres, y compris en dehors des bibliothèques. Ce qui frappe d’abord, quand on arrive à Fleury-Mérogis, c’est le gigantisme. 4 300 détenus, 1 300 gardiens, la plus vaste prison d’Europe. J’ai vu combien le travail de l’administration pénitentiaire était difficile à cause de la grande diversité de situations des détenus. Quelques peines longues, mais surtout de courtes peines, d’où l’importance des mouvements : 180 000 par an. C’est très compliqué à gérer. L’autre choc, c’est le titre de Fleury-Mérogis, un titre qui condamne l’institution elle-même : cela s’appelle une « maison d’arrêt ». Je comprends bien le mot arrestation. Mais si on fait entrer quelqu’un dans une maison d’arrêt, on lui signifie que sa vie est arrêtée. C’est l’inverse de la réinsertion. Selon toute probabilité, l’individu arrêté sera pire en sortant qu’en rentrant. Quand la vie s’arrête, quand on vit uniquement avec des gens arrêtés, on va forcément vers le pire. Le grand mot, c’est arrêt. Quand on est privé de tout, il reste les mots. Celui-ci, arrêt, est terrible.
J’ai à l’esprit deux autres points simples mais bouleversants. J’ai assisté à une rencontre avec des détenus en cours de formation pour devenir aides bibliothécaires. Et après ? C’est compliqué pour eux car les postes proposés le sont essentiellement dans la fonction publique. « Comme on aura un casier judiciaire, m’ont dit ces prisonniers, on ne pourra pas être employés. » Bravo la formation ! L’arrêt continue… Autre point qui serre le cœur et entraîne la colère : dans chacun des quartiers de la prison, on trouve des bibliothèques accueillantes. Mais elles sont quasiment vides, malgré le travail formidable de l’association Lire c’est vivre*. Quel juste programme que son nom. (Qui serais-je sans avoir lu ? Rien !) Les lieux sont parfaits mais on ne trouve pas de gardiens pour y transférer les détenus qui s’inscrivent sur des listes d’attente. Les gardiens sont en nombre insuffisant, et la bibliothèque n’est pas leur priorité. Passent avant la promenade, les rencontres avec les avocats, les visites médicales et le travail en atelier qui permet de gagner un peu d’argent pour la sortie. Ce travail est en outre pris en compte par le JAP (juge d’application des peines), alors que la lecture est considérée comme un loisir. J’insiste pourtant : il faut redonner une chance aux détenus, sinon on fabrique du pire. Et s’il y a un lieu où on a le temps de lire, c’est bien la prison.
* www.lirecestvivre.org
Conversation avec ÉRIC FOTTORINO
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