Donnez, riches ! L’aumône est sœur de la prière.
Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l’hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous.

Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles ;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit ;
Afin qu’un blé plus mûr fasse plier vos granges ;
Afin d’être meilleurs ; afin de voir les anges
Passer dans vos rêves la nuit !

Donnez ! il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse.
Donnez ! afin qu’on dise : « Il a pitié de nous ! »
Afin que l’indigent que glacent les tempêtes, 
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes, 
Au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux.

Donnez ! pour être aimés du Dieu qui se fit homme, 
Pour que le méchant même en s’inclinant vous nomme, 
Pour que votre foyer soit calme et fraternel ; 
Donnez ! afin qu’un jour, à votre heure dernière, 
Contre tous vos péchés vous ayez la prière 
D’un mendiant puissant au ciel. 

Extrait de « Pour les pauvres », Feuilles d’automne, 1831

Pour les pauvres paraît en février 1830. L’hiver est rigoureux et le jeune Victor Hugo, encore monarchiste, vend ces vers au profit de la quête. Bientôt, la révolution de Juillet détrônera Charles X. Le généreux poème est aussi une mise en garde : ce que la charité ne donne pas, la violence finira par l’arracher. 

 

 

 

 

 

 

 

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