Jusqu’à 500 paniers-repas concoctés par jour. En plein confinement, l’antenne du traiteur d’insertion La Table de Cana, à Gennevilliers, n’a pas chômé. Chaque jour, ses salariés ont rempli des sachets en kraft de sandwiches et produits frais à destination des plus démunis. Un public loin de la clientèle habituelle du traiteur, qui sert entreprises ou particuliers lors d’événements festifs. Il a cependant répondu présent à l’appel de la Fondation de France, dans le cadre du programme « Tous unis contre le virus ». Dès le début du confinement, cette dernière a mis en relation des traiteurs et restaurateurs d’insertion avec des associations gérant l’aide alimentaire – comme les Restos du Cœur, la Protection civile ou l’Armée du salut – et financé les repas. Un dispositif novateur mis en place en un temps record.

 

« Il y a eu un chaînage ultra rapide du réseau de solidarité, confirme Ghislain Lafont, président du réseau national de La Table de Cana. Il y avait une telle urgence, une telle panique. Rappelez-vous les files de gens qui faisaient la queue pour acheter à manger… » Les contacts sont noués très vite, reposant sur une solide relation de confiance. « Il y a eu une accélération des particules en quelques heures. Nous nous sommes dit : "Unissons nos forces, nos talents." »

 

Sur le terrain, les associations s’inquiètent alors pour les plus précaires : les SDF, les prostituées, les exilés en errance, tous ceux qui n’ont pas un euro de côté et dépendent des contacts humains pour survivre. Mais l’opération est également salvatrice pour les traiteurs eux-mêmes, qui conservent une activité… et des salariés à leurs postes. « La Fondation de France a eu une double intuition très fine et très rapide : dans son action, elle a permis d’aider à la fois des personnes fragiles isolées et des entreprises d’insertion, elles aussi fragiles », se félicite Jean-Marie Clément, directeur de La Table de Cana de Gennevilliers. Deux bienfaits pour le prix d’un. Des fonds débloqués vitesse grand V et de manière anticipée. « Les repas étaient préfinancés : la Fondation de France nous versait les montants en début de semaine. Comme on n’avait pas de visibilité, au début, on a un peu jonglé. » Mais rapidement, tout est rôdé. Les ateliers situés en banlieue parisienne mitonnent de petits plats pour les publics les plus défavorisés.

 

Derrière les fourneaux se trouvent des salariés en majorité eux-mêmes en difficulté et accompagnés dans leur retour à une activité. « Les parcours d’insertion n’ont pas été arrêtés. C’est essentiel. Une césure prend souvent des mois à être rattrapée », note Jean-Marie Clément. Jacqueline Azram, 51 ans, se forme depuis un an à la cuisine et à la chocolaterie. Elle a répondu présent pour préparer les paniers-repas : « Je n’aime pas rester enfermée ! Et puis là, on participait vraiment à une bonne action, pour aider les plus démunis de tous. Psychologiquement, on se sent bien, c’est valorisant, confie-t-elle. Même si certains étaient un peu angoissés au début, on est passés au-dessus de tout ça, on a pensé à tous les autres, les pompiers, les médecins, les infirmiers, les caissières… »

 

Sandwiches à base de produits frais, viande, poisson, fruits et légumes : La Table de Cana a mobilisé ses fournisseurs locaux et traité cette commande inhabituelle avec le même sérieux et la même rigueur que ses clients classiques. « On ne peut pas donner une boîte de conserve à tous les repas, la qualité nutritionnelle et gustative des repas est super importante », souligne Marie Cougoureux, chef de service pour les dispositifs humanitaires à la fondation Armée du salut, qui se félicite de la qualité des paniers qu’elle a livrés dans les campements précaires. Jusqu’à 3 000 par jour, grâce aux différents traiteurs mobilisés.

 

Côté distribution, la solidarité entre structures associatives a également joué à tous les échelons. « Il y a eu une très belle organisation inter-asso, insiste Marie Cougoureux. Beaucoup de personnes, peu importe leur structure, se sont retroussé les manches. Cela tient au contexte de crise : on n’est plus dans un cadre dans lequel on prend du temps pour se poser de multiples questions. On a juste agi parce qu’il fallait agir. » Les neuf voitures permettant la distribution des paniers-repas de l’Armée du Salut ont été prêtées par neuf associations différentes, sans passer par de multiples validations : « En général, c’est plus vertical. Là, l’opérationnel a pris les choses en main. On a enlevé les maillons qui font qu’il y a de l’inertie. »

 

Il reste désormais à penser à la suite. Car les besoins n’ont pas pris fin avec le déconfinement, au contraire. La Table de Cana a voulu poursuivre l’engagement en sollicitant ses mécènes habituels, dans le cadre d’un nouveau programme « Un don, deux solidarités ». Paradoxalement, c’est maintenant que la situation est plus tendue pour les entreprises d’insertion, dont l’activité classique ne reprend que très lentement. Sur le terrain, les organisations comme l’Armée du salut notent également un élargissement du public ayant besoin d’être soutenu. Des familles en difficulté jusqu’alors non concernées par l’aide alimentaire rejoignent les rangs des bénéficiaires. Les associations, elles, réclament plus de moyens. Mais l’opération menée dans un temps record reste porteuse d’espoir pour Ghislain Lafont : « On a su réinventer un modèle économique, faire évoluer les liens. De nouveaux champs s’ouvrent. Dans notre pays, globalement, il s’est passé des choses extraordinaires. » 

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