Branka Horvat, à la quête du spray « peptide anti-Covid »

Lorsque Emmanuel Macron annonce aux Français : « Nous sommes en guerre », Branka Horvat reçoit l’information de façon presque détachée, en scientifique de haut rang qu’elle est : « Nous sommes en guerre tout le temps contre les virus. On les combat. C’est notre devoir », explique la virologue, laissant à d’autres les analyses politiques. Branka Horvat est directrice de recherche à l’Inserm et au Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) à Lyon. Elle comprend très vite que les travaux de son équipe sur la prévention de la rougeole vont pouvoir être utiles. En collaboration avec une équipe new-yorkaise, elle propose un projet appelé « Corona-Pep-Stop », qui pourrait permettre d’élaborer un spray anti-Covid. La course contre la montre commence.

Si on l’observe de très près, ce virus qui est en train de paralyser une grande partie du monde fonctionne comme un parasite : il fusionne avec une cellule hôte puis se multiplie. Les équipes lyonnaise et américaine proposent de bloquer cette première étape de l’infection : l’entrée du virus dans la cellule hôte. Certaines molécules appelées « peptides inhibiteurs de fusion » savent justement cibler ce moment clé et ont montré leur efficacité contre plusieurs viroses, comme la rougeole et le virus Nipah. L’équipe de Branka Horvat et leurs collègues américains espèrent adapter leurs résultats aux spécificités du SARS-CoV-2, comme à celles d’autres coronavirus qui pourraient émerger.

« Le but sera de générer un médicament qu’on prendra sous forme de spray le matin et qui nous protègera pour la journée. Dans le cas de la rougeole, nous avons obtenu 100 % de protection contre l’infection pendant 24 heures. L’expérience a été menée sur des souris. Si nos résultats sont concluants, le spray peptide anti-Covid pourra remplacer le port de masques et la distanciation physique », conclut la chercheuse.

La philanthropie, financeur devenu nécessaire

Pour s’y mettre, et vite, Branka Horvat a dû décrocher des financements. Le projet et son budget de 191 160 euros ont rapidement été approuvés par l’Agence nationale de santé. Quant à l’argent, il proviendra à 100 % de la philanthropie, en l’occurrence de la Fondation de France.

À quelques centaines de mètres de Branka Horvat travaille le professeur Philippe Vanhems, chef de service aux Hospices civils de Lyon et membre du Ciri. Lui aussi a bénéficié du financement de la Fondation : elle apportera la moitié des 188 000 euros nécessaires au projet CovEhpad, qu’il copilote. L’idée : observer la situation du coronavirus dans vingt Ehpad de la région et établir des corrélations entre le profil des résidents, les mesures de contrôles prises dans chaque établissement et le nombre d’infections constatées. L’équipe compte mettre sur pied une plateforme de simulation, pour prévoir – et donc prévenir – les risques liés à l’épidémie dans ces résidences.

Selon le professeur Vanhems, les financements de la philanthropie permettent de travailler plus sereinement car, depuis vingt ans, les organismes financeurs publics cherchent en permanence un compromis : « Lorsque nous faisons des demandes de fonds, on nous répond : "Oui, mais il faut réduire ou supprimer tel ou tel poste de dépense." Nous sommes à l’étroit dans nos recherches. Avec les moyens de la philanthropie, nous pouvons bosser d’arrache-pied avec le sentiment qu’au bout du compte, si nous ne trouvons rien, nous aurons au moins mis toutes les chances de notre côté. » Les contributions philanthropiques et les thèses payées par les industriels sont devenues, à ses yeux, des compléments de financement « absolument nécessaires dans beaucoup de cas de figure ».

Pérenniser les financements de la recherche fondamentale

La recherche française a beaucoup évolué aussi dans son accueil des jeunes chercheurs. Branka Horvat a obtenu son doctorat à l’université de Zagreb en 1989, à un moment où le monde changeait de visage. Cette ouverture nouvelle lui permet d’aller étudier aux États-Unis puis en France, où elle décide de rester alors que la Yougoslavie est en guerre. Brillante professionnelle, la jeune femme est plus tard formée au laboratoire P4 de haute sécurité à Lyon, où elle manipule les virus mondiaux les plus dangereux. En guerre contre les infections, elle veut faire prendre conscience que le travail effectué par elle et tous ses collègues est fondamental, au sens strict du terme : « Les virus que nous analysons dans le laboratoire P4 ont parfois un taux de mortalité de 90 à 100 % ! Un immense danger se cache dans la nature, qui est le plus grand laboratoire du monde. Les chauves-souris sont bourrées de virus. Avec ce que l’on sait des contacts de plus en plus fréquents entre les hommes et les animaux, cela pourrait faire des dégâts dans la population entière. La réalité peut rejoindre les films de science-fiction. »

Pourtant, face à l’ampleur de la menace, Branka Horvat a souvent l’impression de manquer de moyens. Son équipe ne compte que trois autres personnes, dont un « post-doc » qui partira par définition au bout de cinq ans. La directrice de recherche déplore former des jeunes chercheurs à des savoirs très pointus pour les voir finalement partir, faute de financements. Le parcours qu’elle a connu serait-il possible en 2020, trente ans plus tard ? « Tout est très compétitif et difficile aujourd’hui », répond Branka Horvat avec son détachement tout scientifique. Puis elle finit par faire vibrer son accent de l’Est, d’une voix empreinte d’émotion : « Cette épidémie, cela faisait quinze ans que les collègues chinois la prédisaient – depuis le SRAS. Mais moi, j’ai peur qu’après l’émotion d’aujourd’hui, la société oublie… On aura de nouveaux virus, c’est certain. Le problème est d’assurer un financement permanent de nos recherches. Nous devons être prêts pour l’avenir. » 

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