C’est une simple banderole, accrochée à la façade d’un immeuble espagnol, dont le message a fait le tour de l’Europe : « La romantisation de la quarantaine est un privilège de classe. » Alors qu’en France comme ailleurs fleurissaient en ce début de printemps journaux de confinement, listes de lectures à rattraper et autres programmes de remise en forme, la réalité était tout autre pour des millions de citoyens gagnés par l’angoisse. Angoisse, bien sûr, de perdre emploi et revenus, de voir s’aggraver la précarité. Angoisse, aussi, de tomber malade, de succomber à cette maladie qui touche davantage les seniors, mais n’épargne personne. Alors que certains apprennent à faire leur pain maison, d’autres sont tenus d’aller gagner leur croûte, avec les risques liés à l’exposition. Et la carte des contaminations est, hélas, éloquente, avec une surmortalité notable en Seine-Saint-Denis, par exemple, où vit, souvent dans la promiscuité, cette « deuxième ligne » de livreurs, caissiers, aides-soignants ou policiers qui font aujourd’hui tourner le pays. Si, comme dans la fable, nous sommes « tous frappés » par cette peste qui bouleverse nos existences, le coup est plus rude encore pour ceux que la vie a déjà fragilisés.

Ce numéro du 1 dresse le tableau d’une France divisée, selon des lignes de fracture souvent plus complexes que les oppositions binaires entre jeunes et vieux, riches et pauvres, rats des villes et rats des champs. Après un mois de confinement forcé, la « diagonale du vide » fait désormais de l’œil aux hérauts de la mondialisation heureuse. Mais si elle brouille certains préjugés, cette pandémie vient surtout mettre en lumière et renforcer les inégalités qui minaient déjà le pays, que ce soit face au logement, à l’éducation, à l’accès aux soins ou à un travail protégé. Quelles leçons tirerons-nous de cette crise pour inventer le monde d’après ? Dans son essai La Stratégie du choc, l’essayiste Naomi Klein soutient que les grandes catastrophes auxquelles nous devons faire face sont l’occasion, pour les chantres du néolibéralisme, d’avancer leurs pions et de profiter de l’effet de panique pour imposer de profondes réformes économiques et politiques. Mais cette évolution n’a rien d’inéluctable. Par le passé, d’autres épidémies ont pu au contraire contribuer à renforcer l’État social, à promouvoir la redistribution des richesses pour parer aux conséquences du drame sanitaire. Déjà l’Espagne, meurtrie par la crise, prépare l’instauration d’un revenu universel, premier élément du « bouclier social » censé venir en aide aux personnes les plus démunies face au Covid-19. Et d’autres pays pourraient prendre la suite, conscients que ces mesures d’urgence seront peut-être le ferment d’un nouveau système de protection sociale, bénéfique à tous. En somme, prévenir plutôt que guérir. 

 

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