Mardi 17 mars, prison de la Santé, à Paris. Il est aux alentours de 17 heures. C’est le moment de remonter dans les cellules pour la cinquantaine de prisonniers qui prennent l’air dans la cour de promenade de la maison d’arrêt. Les détenus y ont marché et fait de la musculation comme à leur habitude. Une journée a priori normale.

Sauf qu’au moment de « réintégrer » la détention, ils refusent de regagner les étages et campent dehors comme des protestataires en piquet de grève. Le confinement décrété la veille par Emmanuel Macron pour cause de coronavirus vient d’entrer en vigueur dans toute la France. Y compris dans les 186 prisons du pays. Pour les détenus de la Santé, cela signifie la suppression de toutes les activités hors de leurs cellules : parloirs avec la famille interdits, enseignements et formations annulés, accès au gymnase et à la salle de musculation suspendu… Des mesures difficiles à accepter pour des personnes enfermées vingt-deux heures sur vingt-quatre.

« C’est du foutage de gueule ! », « On nous ment ! », « De toute façon, on est déjà confinés ! Si on le chope, ce sont les surveillants qui nous l’auront donné ! », clament les détenus dans la cour de la prison parisienne. Ils arrachent les néons de la promenade et cassent le grillage. Deux d’entre eux montent sur un toit. Nakibou Malidi, le secrétaire adjoint du syndicat Force ouvrière Paris La Santé, assiste à la scène : « Le directeur a tenté de négocier avec les gars, mais ils n’ont rien voulu savoir. » La situation se tasse deux heures plus tard après l’intervention des Eris, les gros bras de l’administration pénitentiaire. Plusieurs des protestataires sont transférés illico vers d’autres prisons de la région parisienne.

Le coup de sang de la Santé n’est pas un cas isolé. Les détenus des prisons de Fleury-Mérogis (Essonne), de Réau (Seine-et-Marne), de Metz, de Perpignan et d’une bonne dizaine d’autres établissements ont aussi refusé de regagner leurs cellules pour dénoncer leur confinement. À Uzerche (Corrèze), une mutinerie a éclaté et plus de 300 prisonniers ont dû être transférés dans d’autres établissements. « Pendant dix jours, ça a été très compliqué dans les prisons à cause du Covid-19, explique Erwan Saoudi, délégué régional FO Pénitentiaire Paris. L’administration était très peu préparée à une épidémie et les détenus n’ont pas compris la logique du confinement. Du moins au début. Ils ont pris la suspension des activités comme une mesure contre eux. »

Un mois après ces événements, la défiance s’est dissipée… mais l’inquiétude s’est installée. Gardiens comme prisonniers craignent aujourd’hui d’être contaminés par le virus. La surpopulation carcérale – qui concerne essentiellement les maisons d’arrêt où s’entassent les personnes en attente de jugement et celles condamnées à de courtes peines – décuple le risque de transmission. La promiscuité fait partie intégrante du quotidien des prisons hexagonales : 70 000 détenus et 42 000 agents de l’administration pénitentiaire s’y côtoient nuit et jour toute l’année. « Si le corona rentre en détention, clairement, on va tous être contaminés », explique un prisonnier, qu’on appellera Nicolas, joint par téléphone dans sa cellule. Il partage 9 mètres carrés avec un autre condamné dans une petite prison de la région Occitanie. Dans l’établissement, il n’y a que douze douches tapissées de moisissure verte pour une centaine de détenus. Une vraie boîte de Petri. « Pour moi, ils auraient dû tester tout le monde dans les prisons… C’est la seule solution pour éviter la propagation. » À la prison de la Santé, quatre détenus ont été testés positifs. Ils ont été placés à l’isolement complet : les surveillants servent leur repas en combinaison blanche de médecin et les malades vont seuls en cour de promenade.

Chez les surveillants, on n’est pas davantage rassuré. « On craint tous d’attraper le corona et de le ramener à nos familles. On a tous la peur au ventre », détaille Nakibou Malidi, le représentant de Force ouvrière à la Santé. Dans la prison parisienne, quelques mesures ont été prises : l’appel des surveillants à chaque début de service se fait désormais en extérieur, et non plus dans la salle où sont affichés les plannings, et les détenus ne sont plus fouillés avant d’aller en promenade.

120 000 masques de protection ont été livrés à l’administration pénitentiaire et de gros bidons de gel hydroalcoolique ont été installés dans les bureaux et dans les greffes. Mais tout ceci n’est qu’un pansement sur une jambe de bois pour Erwan Saoudi, le délégué régional de FO : « Les masques sont distribués au compte-gouttes, les cellules et les miradors ne sont pas désinfectés et nous n’avons pas assez de gants. » Au 3 avril, 48 détenus et 114 surveillants avaient été testés positifs au coronavirus. Un détenu de 74 ans et un surveillant de 54 ans en sont morts.

Pour limiter les risques de propagation du virus, Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, a annoncé courant mars la libération anticipée de plusieurs milliers de détenus dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Ces levées d’écrou sont réservées aux prisonniers auxquels il reste moins de deux mois de peine à purger, à condition qu’ils disposent d’un logement et n’aient été condamnés ni pour des faits terroristes ni pour des crimes graves ou des violences intrafamiliales. En quinze jours, 6 266 détenus en ont bénéficié. Une première dans l’histoire des prisons françaises depuis 1945. 

 

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