Les migrants ? Quoi, les migrants ? Mon papier pour ce soir ? Mais tu me l’as demandé pour le numéro de la semaine prochaine. Finalement, on le fait en urgence ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’on leur a encore fait aux migrants ? Des blessés graves ? Beaucoup ? Les Érythréens contre les Afghans ? Des armes à feu ? Au moment de la distribution de nourriture ? Bon, qu’est-ce qu’on a comme infos ? Un conflit entre les passeurs pour le contrôle des parkings ? Pas très neuf. La tension déclenchée par les opérations de Collomb qui provoqueraient une telle panique chez les migrants qu’ils se précipitent dans les rets des passeurs dans l’espoir de se tirer de ce pandémonium à n’importe quel prix ? Bon, d’accord, avec ça, je peux faire quelque chose. Tu veux combien ? 3 400 signes ? Et je donne dans quoi ? Compassion ou indignation ?

Quoi du cynisme ? Tu as autre chose en magasin ? Tu penses que les journaux télévisés vont ouvrir sur Calais ou sur le type qui a avoué le meurtre de sa femme ? Et tu ne le vois pas arriver, le défilé d’experts du crime conjugal et la procession de voisins pour nous raconter qu’ils n’auraient jamais imaginé qu’un type aussi gentil puisse être aussi méchant ? Et les avocats pour nous jouer le procès avant l’instruction ? Ça tiendra jusqu’aux JO d’hiver. Regarde les prisons, ça a occupé quoi ? Trois jours ? Ce n’est pourtant pas les rapports, reportages, témoignages qui manquent, ni les images sorties en fraude qui montrent dans quoi vivent les taulards, ni les récits qui décrivent ce qui ne se voit ni ne se filme, la promiscuité, le bruit, les suicides, les viols. Même les sénateurs sont sortis de leur réserve et ont évoqué une « humiliation pour la République ». C’était il y a dix-huit ans. Leur rapport est complet, précis, détaillé, suivi de la proposition de trente mesures à prendre en urgence.

Et les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ? Un coup on s’émeut des mauvais traitements infligés aux pensionnaires – et plus encore lorsqu’ils sont complètement dépendants –, on détaille les humiliations qu’ils doivent subir, on est écœurés lorsqu’on apprend quelle nourriture on leur sert, on pince le nez quand on sait le peu d’hygiène à laquelle ils ont droit. Le coup d’après, on s’emporte contre les conditions de travail des personnels, contre leurs salaires, contre les obligations de rendement qui leur sont imposées – la toilette VMC (visage, mains, cul) à réaliser en dix minutes, par exemple. Le premier rapport à sonner l’alarme date de plus de dix ans. Il a eu les mêmes effets que le document sénatorial sur les prisons, bien que nous risquions tous davantage l’EHPAD que la taule.

Et les paysans ? Un suicide tous les deux jours. 20 % qui ne peuvent pas se verser de salaire. 30 % qui se paient moins de 350 euros par mois. En prime, la raréfaction des services publics en milieu rural conduite avec un unique souci, la gestion, comme si cette désertion en rase campagne n’allait pas avoir un coût. Combien de fois avons-nous entendu ces chiffres ? Combien de fois a-t-on expliqué la montée du FN par l’abandon de la ruralité par l’État ? Pas assez pour que le monde agricole ait l’honneur de figurer au menu des débats de la présidentielle. Alors, coco, Sisyphe n’est pas mon cousin, je te le fais ton papier, mais ton info sur les migrants, elle est comme les autres drames : tu choisis, je te la fais compassion ou indignation, de toute façon, ça ne durera que le temps de sa consommation. 

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