Des parcours de combattants
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ALPES-MARITIMES. Il faut serpenter longtemps dans la vallée de la Roya, longer le flanc des montagnes et emprunter quelques routes vétustes pour atteindre le petit village perché de Saorge, non loin de la frontière franco-italienne. Ici, les voitures ne rentrent pas. C’est à pied, en s’aventurant dans le dédale des rues étroites et pavées, que l’on arrive chez Gérard Bonnet, surnommé par tout le monde « Gibi ». Dans la région, ce sexagénaire aux allures de baba cool – barbiche grise, queue de cheval sous un chapeau coloré – est connu comme le loup blanc. Surtout depuis que le tribunal de Nice l’a condamné, avec trois autres retraités – Françoise Gogois, René Dahon et Daniel Oudin –, à 800 euros d’amende avec sursis au printemps dernier. Leur tort ? Avoir transporté en voiture six personnes en situation irrégulière : le fameux « délit de solidarité ».
La Roya, une vallée contre un préfet
Cet après-midi, une partie de la bande est réunie autour d’un verre de cidre. Les trois amis se remémorent cette soirée du 6 janvier 2017 où ils ont été arrêtés ensemble sur la route de Breil-sur-Roya. « Comme souvent, j’étais venu passer des vacances chez Gibi, raconte Daniel. Je ne m’étais pas imaginé que je me retrouverais le soir même au poste de police ! » Un an plus tard, les hommes prennent l’affaire avec humour. Françoise, elle, est toujours un peu secouée par l’expérience de la garde à vue. Cachée derrière sa frange et ses lunettes, elle raconte timidement : « Ils ont pris toutes nos empreintes, ils nous ont photographiés de face et de profil. On était comme des délinquants. »
L’hiver dernier, des centaines de migrants arrivaient chaque jour par les sentiers sinueux de la vallée de la Roya. Venus d’Italie, certains cherchaient à monter vers l’Angleterre, d’autres tentaient de rejoindre la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) de Nice. À cette époque, l’entrée dans la vallée était totalement libre, mais il était presque impossible d’en sortir sans se faire contrôler. Près d’une cinquantaine d’exilés se sont ainsi trouvés coincés dans les appartements d’habitants de Saorge. Gibi ne comprend toujours pas l’intérêt de ce système : « La vallée était complètement bloquée, on ne pouvait pas les sortir. C’était une situation vraiment étrange. »
Le 6 janvier, en fin d’après-midi, Gibi reçoit un coup de téléphone. « On nous prévient qu’il y a urgence à bouger des gens, surtout chez Cédric Herrou », l’agriculteur et « délinquant solidaire » désormais très connu pour avoir été placé neuf fois en garde à vue et condamné à quatre mois de prison avec sursis. Le campement, installé sur son terrain, est surpeuplé. Il pleut, les températures sont particulièrement basses. Gibi, Daniel, Françoise et René partent chercher une partie des migrants pour les mettre à l’abri. La vallée étant quadrillée, ils prennent soin de déposer leurs protégés sur un sentier pédestre à l’approche du point de passage autorisé (PPA) sur la route de Breil-sur-Roya. L’objectif est alors de passer avec les véhicules à vide devant les agents de police et de récupérer le groupe un peu plus loin. Françoise accompagne les marcheurs pour leur montrer le chemin. « Quelqu’un nous a vus, explique Daniel. Une randonneuse. Elle a aperçu les migrants et nos voitures repartir rapidement. La nuit tombait, elle n’a pas vu qu’ils étaient accompagnés et dit avoir eu peur qu’ils se perdent. Elle a prévenu les bleus qui sont arrivés immédiatement. » Fin de la partie.
Gibi sort un épais classeur de son placard. Il cherche le chef d’accusation précis. Le voilà : c’est l’article L. 622-1 du Ceseda, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il incrimine toute action visant à faciliter l’entrée, la cir
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