« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans », écrivait Rimbaud. Après deux confinements et des semaines de couvre-feu, on le devient peut-être plus. Alors qu’à dix-sept ans, on devrait se sentir « aux lèvres un baiser », les gestes barrières ont pris la place des élans de tendresse. Nos parents avaient connu la crise économique, nos grands-parents la guerre. Avec la pandémie, nous, enfants de l’an 2000, nous retrouvons confrontés à une crise sanitaire sans précédent, doublée d’une crise économique, sociale et environnementale inédite. « Vous êtes tous une génération perdue », faisait remarquer Gertrude Stein à Ernest Hemingway dans les années 1920. Un siècle plus tard, c’est d’une « génération sacrifiée » qu’il est question. Vraiment ?

 

Cette formule sous-entend deux idées qui résistent mal à l’épreuve de nos expériences. C’est d’une part nous considérer comme une génération homogène en gommant notre diversité et la pluralité des vulnérabilités face à la pandémie. C’est aussi oublier les autres générations qui ont chacune souffert à leur manière de la pandémie : les mères qui ont accouché seules de leur premier enfant, les retraités qui ont vécu isolés pour se protéger, les travailleurs qui se sont retrouvés en inactivité partielle ou totale… Dès lors, le terme de sacrifice est-il encore approprié ? Car s’il y a des sacrifices, au sens où l’on renonce à nos intérêts propres pour un intérêt supérieur, alors il y a des sacrifices de la part de chaque génération : pour protéger les personnes vulnérables ; pour prévenir la saturation des services hospitaliers et ainsi protéger le personnel soignant et tous les usagers du système de soin, enfin, pour épargner le plus possible à chaque famille, donc à chacun d’entre nous, des situations de deuil. 

 

Dans les discours tenus sur la jeunesse depuis le début de la pandémie, on trouve un mélange de compassion et d’accusation. Compassion pour une jeunesse qui souffre d’une manière singulière. Accusation à l’égard de cette jeunesse qui se construit, comme toutes celles qui l’ont précédée, en transgressant les règles. À ce titre, le traitement médiatique de la rave party du Nouvel An, qui a rassemblé un peu plus de 2 500 jeunes à Lieuron, en Ille-et-Vilaine, est révélateur de la difficulté des observateurs à saisir cette jeunesse, tantôt délinquante, tantôt sacrifiée. Certains voient en elle inconscience et égoïsme, quand d’autres interprètent cet événement comme une prise de position politique forte face aux carcans sanitaires imposés par le gouvernement. 

 

Pourtant, une autre facette de cette génération Covid est mise en lumière à l’épreuve de la crise : la jeunesse engagée. Parce qu’avoir 20 ans en 2020, ce n’est pas seulement être cloîtré dans une chambre d’étudiant, impuissant. 

 

Avoir 20 ans en 2020, c’est œuvrer pour une répartition plus juste des ressources. Ainsi, le projet « De la mer à la rue », à vocation écologique et sociale, a vu le jour en octobre 2020 : trois jeunes agissent pour le recyclage de néoprène polluant transformé en vêtements à destination des personnes en situation de précarité. Si ce projet a émergé grâce au dispositif du service civique promu au sein de l’enseignement, d’autres préfèrent agir contre la précarité au sein d’associations ou bien de façon informelle. En septembre 2020, un sondage Ipsos montrait que 78 % des 16-24 ans se déclaraient prêts à s’engager auprès des personnes en situation de pauvreté. Ce chiffre, qui se concrétise notamment dans l’organisation de maraudes de jeunes avec l’ordre de Malte, témoigne ainsi d’un refus d’ignorer la misère grandissante.

Avoir 20 ans en 2020, c’est descendre dans la rue le 2 juin devant le tribunal de Paris à la suite de la mondialisation du mouvement Black Lives Matter né sur les réseaux sociaux, sans attendre la levée de l’interdiction préfectorale pour manifester contre les violences policières et le racisme. La manifestation qui s’était déroulée six mois plus tôt à l’initiative du collectif #NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles avait, selon ses organisateurs, rassemblé plus de 150 000 personnes dans toute la France. Pour beaucoup, c’était une première, et parmi elles, une majorité de jeunes. À la veille du reconfinement, un demi-million de personnes s’étaient aussi levées contre la loi de sécurité globale, s’engageant pour plus de démocratie et de transparence de la police.

 

Avoir 20 ans en 2020, c’est se mobiliser pour prêter main-forte aux hôpitaux, notamment quand on est étudiant en santé. Cela a été le cas pour 65,3 % d’entre eux. Formés en quelques heures seulement, ils travaillent en tant qu’aides-soignants ou aides-infirmiers, ils répondent aux appels du numéro vert et participent à la régulation du Samu, ils apprennent à réaliser les prélèvements des tests PCR, ils gardent les enfants du personnel soignant… Pour ces intérêts supérieurs, ils ont renoncé à quelques intérêts particuliers. D’après l’enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) sur les conditions de stage et d’étude de ces derniers lors de la première vague du Covid-19 : sur dix étudiants qui s’étaient engagés pour effectuer des vacations, six ont travaillé sans contrat de travail, quatre n’ont pas eu le temps de suivre leurs études en parallèle et sept ont subi des situations de manque, de pénurie ou de surexposition à la maladie.

 

Avoir 20 ans en 2020, c’est donner une nouvelle dynamique aux combats écologiques, en essayant de sensibiliser le plus grand nombre par tous les moyens possibles. Les activistes écologiques du mouvement français On est prêt !, Camille Étienne et Solal Moisan, ont choisi l’art. Au cours du premier confinement, ils ont réalisé le court-métrage Réveillons-nous. L’objectif n’était pas de pointer du doigt les fautifs, mais de responsabiliser et de susciter une prise de conscience de l’urgence climatique – pas seulement à l’aide d’arguments scientifiques, mais grâce aux émotions et à la dimension artistique de leur vidéo (mots, danse, prises de vues). Leur court-métrage atteint aujourd’hui plus de 15 millions de vues (toutes plateformes confondues) et a été traduit en anglais et en espagnol. En ces temps incertains, ce projet qui n’avait pour ambition au départ que de « laisser une trace » est désormais porteur d’espoir quant à la capacité de création et de mobilisation des jeunes pour défendre les causes qu’ils estiment être prioritaires.

 

Il n’y a pas une jeunesse obéissante et une autre inconsciente : la pandémie a en réalité dévoilé une jeunesse plurielle, qui sait être au rendez-vous des épreuves que nous traversons. Une jeunesse pleine d’espoir, qui s’approprie un moment politique pour s’engager à sa manière, dans des causes, faute d’un système politique qui parvienne à la représenter. 

Nous nous construisons dans un monde en voie de destruction : déclin effréné de la biodiversité, réchauffement climatique, accroissement des inégalités et individualisme. Ces urgences ne sont pas nouvelles, elles ont animé les combats des jeunesses précédentes. Pourtant, elles sont toujours aussi vives et la pandémie les exacerbe. La crise que nous vivons doit être l’occasion de tourner la page. Nous souffrons tous de la situation actuelle, et cela ne doit pas être vain. Nous devons déployer nos efforts pour évoluer vers un futur juste, écologique et inclusif. Si les contours du « monde d’après » restent à définir, le « retour au monde d’avant » est une impasse. Nous espérons, avec Rimbaud, que la promenade de nos vies sera bordée de tilleuls verts. « Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin – a des parfums de vigne et des parfums de bière… », c’est le vent d’un monde meilleur qui se lève. 

 

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