Comment le Covid-19 touche-t-il les enfants ?

Les enfants sont moins touchés que les adultes. Ils représentent 1 % des hospitalisations pour Covid-19 en France et seuls 10 % des enfants hospitalisés ont une forme sévère. Ils sont moins susceptibles d’attraper l’infection que les adultes : certaines études montrent qu’ils ont un peu moins de récepteurs permettant l’infection des cellules respiratoires. Ils sont aussi moins contagieux que les adultes. On aurait pu s’attendre à une circulation très active du virus chez eux, mais elle est finalement moins importante que celle d’autres virus respiratoires.

Vous avez étudié le lien entre le développement de la maladie de Kawasaki et le Covid-19. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La maladie de Kawasaki est bien connue en pédiatrie : c’est une maladie inflammatoire du nourrisson et du jeune enfant qui touche les petits vaisseaux. Lors de la première vague de la pandémie, nous avons cru remarquer une augmentation significative de cette pathologie avec des taux cinq fois plus importants. Mais, avec le recul, on constate que ces cas ne correspondent pas tout à fait à la maladie de Kawasaki. Les Anglo-Saxons parlent désormais de PIMS (Pediatric Inflammatory Multisystemic Syndrome). Ce syndrome inflammatoire post-Covid-19 concerne des enfants plus grands ou des adolescents ; il se caractérise par une hypotension sévère, des manifestations digestives plus fréquentes et une inflammation du muscle cardiaque pouvant conduire en réanimation dans 50 % des cas. Il s’agit de la forme la plus grave de Covid-19 chez l’enfant. Elle reste cependant très rare, et le traitement administré permet un bon pronostic.

Que sait-on des variants concernant les enfants ?

50 % des enfants hospitalisés actuellement sont porteurs d’un variant, en particulier anglais. On peut s’attendre à arriver rapidement à 100 %. Aucune sévérité spécifique n’a été décrite à ce jour pour les enfants. On ne constate pas plus de survenues de PIMS. Nos collègues anglais rapportent qu’il y a eu un peu plus d’enfants hospitalisés, mais que la courbe des hospitalisations suit celle des adultes. Les variants ne semblent pas les toucher avec une plus forte gravité, ce qui n’est pas le cas chez l’adulte. Mais on manque encore de données pour confirmer ces premières constatations.

On parle beaucoup de Covid long, concernant des personnes ressentant des symptômes après plusieurs semaines. Qu’en est-il chez les adolescents ? 

Des adolescents sans antécédents particuliers avant le Covid-19 se retrouvent gênés dans leurs activités quotidiennes après l’avoir contracté. Par exemple, on a pris en charge dans le service une adolescente d’une quinzaine d’années qui avait envie d’aller à l’école et d’avoir des activités, mais qui n’y arrivait pas. Les manifestations de Covid long sont : la fatigue, des douleurs musculaires, des troubles de la mémoire et de la concentration. Cependant, le Covid long reste rare pour les adolescents.

Quels sont les effets indirects de la pandémie sur la santé des jeunes ?

Nous avons constaté une augmentation significative des tentatives de suicide chez l’adolescent, en particulier à la fin de l’année 2020. Le retentissement de la pandémie est très important chez des jeunes qui n’avaient pas de pathologies psychiatriques ou psychologiques sous-jacentes et qui se retrouvent avec des risques suicidaires, anxieux ou dépressifs majorés, ou bien chez des jeunes ayant des pathologies déjà prises en charge et qui décompensent beaucoup plus souvent. On n’a pas encore mesuré précisément l’importance du problème à l’échelle nationale ou mondiale, mais cela aura certainement des conséquences pour cette génération d’adolescents. Une deuxième conséquence très préoccupante est la hausse observée des hospitalisations pour suspicion de maltraitance ou dans un contexte de précarité.

À quel point la pandémie constitue-t-elle une forme de traumatisme cumulatif, dont on sait l’importance dans le risque de développement de pathologies futures ?

Le traumatisme est cumulatif, car on ne voit pas la fin de la pandémie. Pour les adolescents, par exemple, tous les repères antérieurs sont bouleversés. Dans cette phase de changements physiologiques et psychologiques que constitue l’adolescence, ces repères sont essentiels. En tant qu’adultes, dans notre rapport aux adolescents, nous ne sommes pas capables de dire : « Cet été, à la rentrée ou l’hiver prochain, tout reviendra à la normale. » Nous ne pouvons pas le dire, car nous sommes nous-mêmes dans l’incertitude. On ne peut donc pas donner de repères. On ne peut pas aider les jeunes à se projeter. Je suis inquiet de ce point de vue, et c’est pourquoi je pense que la réussite de la campagne de vaccination est la seule perspective favorable pour dépasser la crise.

Un an après le début de la crise sanitaire, quelles sont, selon vous, les leçons à retenir pour le futur ?

Je retiendrais trois points même si cette crise est loin d’être terminée. Tout d’abord, l’impact de la fermeture des établissements scolaires sur la santé des jeunes est tellement important qu’il faut tout faire pour l’éviter. Ensuite, les services de pédiatrie, en maintenant les visites, contrairement à beaucoup de services adultes, ont montré l’importance des liens avec les proches, pour les enfants et pour les adultes, dans ces circonstances exceptionnelles. Et, comme nous allons vivre longtemps avec ce virus, il nous faut aussi apprendre à garder et à développer un meilleur sens de l’humanité à l’hôpital. Enfin, nous n’avons pas d’autre choix que la vaccination pour faire face à ce virus. Si on vaccine, c’est aussi pour protéger la jeunesse. Il est encore temps d’arrêter cette pandémie et de faire en sorte qu’elle ne constitue qu’un épisode aigu, faute de quoi cela retentira sur la jeune génération – cela a d’ailleurs déjà commencé. Je crois en la capacité de récupération des enfants, mais, passé une certaine limite, elle se heurte à un véritable point de rupture.

Y a-t-il des parallèles possibles avec d’autres maladies transmissibles ? Si oui, peut-on en tirer des enseignements ?

Il y a un point qui m’a alerté dès le départ : celui de la stigmatisation. J’ai beaucoup travaillé sur le VIH. Même si on a fait beaucoup de progrès, la stigmatisation reste importante. Dans le cas du Covid-19, j’ai retrouvé certains aspects constatés pour le VIH, en particulier dans les familles précaires, voire d’origine étrangère, qui payent un lourd tribut à la pandémie. Au départ, ces familles avaient peur d’être stigmatisées à cause du Covid-19. De plus, comme pour le VIH, les soignants interviennent pour dire ce qu’il faut faire et ne pas faire, et leurs propos ont parfois un caractère intrusif. De fait, les messages ne passent pas toujours bien. On l’a observé aussi dans le cadre de l’épidémie d’Ebola : les messages préventifs ou thérapeutiques pouvaient aller complètement à l’encontre des pratiques coutumières, suscitant la méfiance des populations affectées. Il a fallu s’appuyer sur des autorités locales et prendre en compte ces perspectives culturelles. Dans le cas du Covid-19, il me semble que, pour permettre une meilleure compréhension de la maladie et de sa prévention dans les populations, on ne s’est pas assez reposé sur des référents culturels, qui seraient peut-être en mesure de faire mieux passer les messages. Il serait intéressant de creuser cette approche culturelle de la pandémie pour certaines communautés, mais aussi vis-à-vis des jeunes. 

 

Propos recueillis par CLAIRE VAUXION

 

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