L’intrusion du Covid-19, en envoyant pas mal de gens sur le bas-côté, en jetant des familles entières dans la précarité, interpelle ; ce n’est rien de le dire… En relevant les inégalités et les injustices énormes qui traversent le globe, elle nous interroge sur le projet de société que nous souhaitons bâtir. Il aura fallu qu’un petit virus apparaisse sur quelque obscur marché chinois pour que toute la planète chancelle. Selon le bouddhisme, le monde est imprégné par la loi de l’interdépendance : toutes et tous, nous sommes liés par une solidarité qui dépasse, et de loin, notre individualité. En sanskrit, karuna désigne la compassion. Sans jeu de mots malvenu, face à la montée des égoïsmes, il est urgent d’œuvrer à la contagion du « karuna-virus » pour que la générosité se propage…

Le handicap ouvre une magnifique porte vers l’universel. Il nous fournit une espèce de loupe qui montre en condensé ce qu’est une vie humaine : jugement d’autrui, stigmatisation, exclusion, gêne, embarras, mais aussi fécondité de la persévérance, besoin d’une intériorité, d’une société plus bienveillante, car sur les « déficiences » physiques, mentales ou psychologiques se greffe un fardeau peut-être plus lourd encore : être handicapé sous le regard de l’autre. D’où la mission des médias, des écoles, de l’éducation et de tout un chacun, finalement, de nuire à la bêtise – pour reprendre les paroles de Nietzsche – et… de créer du lien. Se démener avec un handicap, se coltiner une maladie chronique, c’est un peu comme porter en permanence un pesant sac à dos, un paquet supplémentaire de difficultés, d’épreuves. Là encore, ce qui allège efficacement, c’est la solidarité. Avoir dans son être, dans sa chair, dans son âme, une différence réclame un chemin d’acceptation. Je me suis toujours méfié du terme. Si l’acceptation sert à avaliser, à justifier l’injustice, elle relève carrément de la maltraitance. En la matière, Épictète lance un fécond appel : distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend guère. Tous les jours, repérer en quoi chaque être humain peut progresser pour ne jamais l’enfermer dans un diagnostic, sous des étiquettes, voilà le défi ! Un mourant peut encore, jusqu’au dernier moment, faire quelques avancées. 

Comment trouver sa place ? Comment devenir qui nous sommes sans systématiquement nous comparer aux autres ? La société peut écraser avec ses exigeants standards. Dans Le Gai Savoir, Nietzsche évoque une « grande santé » : à côté de la bonne santé qui exclut beaucoup de monde se dessine la grande santé… Chacun peut, avec les moyens du bord, s’inscrire dans une dynamique, intégrer blessures, traumatismes en un itinéraire de libération.

Toujours, une question me hante : qui serait là en cas de coup dur ? Plus que le handicap, c’est la peur d’être rejeté qui hante. Nous sommes des animaux sociaux, ouverts. Le défi, c’est de dépasser les seules ambitions personnelles pour embrasser des projets qui débordent, et de loin, les revendications de l’ego. Nos fragilités et aussi la vie dans sa nudité nous invitent à réhabiliter le collectif, à passer du « je » au  « nous ».

Chaque vie humaine avance sur un chemin de crête. Deux chantiers s’offrent à chacun de nous : développer, sculpter une singularité et, dans le même temps, se donner, contribuer à l’édifice social. Convertir le regard et le cœur, c’est se demander ce que les minorités, l’autre, l’étranger… peuvent apporter à la société. Tendons donc la main et prêtons l’oreille ! 

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