Que ce soit en France ou dans les autres pays du monde, et notamment en Europe, les systèmes éducatifs, confrontés à des jeunes handicapés qu’ils estimaient ne pas être en mesure d’accueillir, ont mis en place au cours de la deuxième moitié du xxe siècle une forme de dualisme éducatif consistant à affecter ces enfants et adolescents dans des écoles, des classes spéciales ou des établissements spécialisés constitués sur la base d’une catégorie de déficience déterminée : à ce titre, on pouvait dire que l’enfant était d’abord classé avant d’être accueilli dans une classe.

Avec l’objectif d’inclusion scolaire ou de scolarisation inclusive, issu de la loi du 11 février 2005 pour la participation sociale et la citoyenneté des personnes handicapées et repris par les lois du 8 juillet 2013 (« Refondation de l’école ») et du 26 juillet 2019 (« École de la confiance »), il ne s’agit plus de mettre le jeune handicapé à l’épreuve de la norme scolaire, il s’agit d’interroger le système éducatif sur sa capacité à prendre en compte la diversité des besoins particuliers de tous les élèves, notamment lorsque ceux-ci sont liés à une déficience, un trouble ou une maladie. On s’inscrit alors dans une perspective renversée où ce n’est plus seulement à l’élève de s’adapter à une norme scolaire intangible, mais plutôt à l’école de s’adapter à la diversité des élèves. C’est là une nouvelle logique qui engage à rechercher les moyens de la mise en accessibilité des cursus de droit commun, c’est-à-dire de leur accessibilisation.

Ainsi peut-on dire que le processus d’intégration scolaire, parce qu’il s’inscrivait dans un système à deux filières entre lesquelles il s’agissait de jeter des ponts pour intégrer des élèves de l’une – ségrégative – dans l’autre – ordinaire –, constituait une modalité de fonctionnement de l’enseignement séparé, et non pas une première forme d’inclusion scolaire. Il en résultait une focalisation sur les déficits individuels, les dysfonctionnements physiologiques et psychologiques de l’enfant ou de l’adolescent, qui conduisait à faire de ces déficits la cause des difficultés d’apprentissage en neutralisant la nature des interactions dans l’écosystème de la classe et les obstacles pédagogiques et didactiques qu’il pouvait produire. À cette logique de mise à l’épreuve, qui se concrétisait par des pratiques de confrontation à la norme scolaire, se substitue avec les politiques publiques d’application de la loi de 2005 un nouveau paradigme dans lequel il ne s’agit pas tant de compenser des manques individuels ou la répercussion de troubles physiologiques et cognitifs que de lever des obstacles présents dans les situations d’apprentissage. L’approche normative, qui consistait à mesurer la différence, c’est-à-dire l’écart par rapport à des standards, fait place à une approche situationnelle, dans laquelle les notions de situations handicapantes et de situations capacitantes sont vouées à remplacer celles de personnes handicapées et de personnes valides.

Ainsi l’éducation inclusive se caractérise-t-elle par son inscription dans un système à voie unique de référence, dont la mission est d’accueillir sans aucune discrimination toute la diversité des élèves, par la focalisation sur l’accessibilité du système scolaire et de la situation d’apprentissage et par l’adaptation de la norme scolaire et des pratiques d’enseignement aux besoins situés des élèves.

Compte tenu de l’évolution de la conception du handicap et des modalités de scolarisation des élèves handicapés, les programmes de formation des enseignants ont beaucoup évolué dans le sens d’une approche pédagogique : le poids du médical dans la prise en compte des processus d’apprentissage a sensiblement diminué (sans disparaître en tant qu’éclairage), au profit de l’analyse de l’activité cognitive de l’élève, dans ses relations avec la structure des situations offertes et avec les conditions affectives, sociales et institutionnelles. Plus que sur les difficultés individuelles de l’enfant ou de l’adolescent, perçues comme la conséquence d’un dysfonctionnement ou d’un trouble qu’il faudrait commencer par réduire, l’attention des enseignants en formation est attirée sur la réduction de la situation de handicap où se trouve l’élève, c’est-à-dire sur les médiations (pédagogiques, techniques…) susceptibles de lever les obstacles éventuellement générés par les normes et pratiques scolaires. En résumé, il s’agit moins d’intégrer des enfants à l’école que d’intégrer des pratiques adaptatives dans les enseignements ; il s’agit moins de rééduquer des enfants inadaptés que d’adapter le système éducatif pour mettre la scolarité en accessibilité.

De même que l’Homo sapiens est à la fois le résultat d’une longue évolution, mais qu’il constitue en même temps une mutation, c’est-à-dire une rupture par rapport à ceux dont il est le descendant, de même le nouveau paradigme de l’inclusion scolaire est-il à ce titre à la fois une évolution et une révolution. 

dessin SIMON BAILLY

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