Les semeurs d’énergie

Du geste large et puissant que Zola, dans La Terre, donne à son laboureur, L’Auto, journal d’idées et d’action, va lancer à travers la France, aujourd’hui, les inconscients et rudes semeurs d’énergie que sont nos grands routiers professionnels.

De Paris aux flots bleus de la Méditerranée, de Marseille à Bordeaux, en passant par toutes les villes roses et rêveuses qu’endort le soleil, à travers le calme des campagnes vendéennes, tout le long de la Loire qui coule lente et silencieuse, ces hommes vont s’enfuir éperdument, inlassables, rencontrer sur leur route tous ces sommeils qu’ils vont secouer, trouver des vigueurs nouvelles, faire naître des ambitions d’être quelque chose, fût-ce par le muscle seulement, ce qui vaut mieux encore que de n’être rien du tout.

Deux mille cinq cents kilomètres durant, par le soleil qui mord et les nuits qui vont les ensevelir de leur linceul, ils vont rencontrer des inutiles, des inactifs et des paresseux, dont la gigantesque bataille qu’ils vont se déclarer va réveiller la torpeur, qui vont avoir honte de laisser leurs muscles s’engourdir et qui rougiront de porter une grosse bedaine, quand le corps de ces hommes est si beau du grand travail de la route.

Et puis, qui sait, quand les corps seront devenus meilleurs, si les esprits et les cerveaux ne voudront pas l’être aussi ou ne le seront pas devenus en même temps ? […]

Vous, amis coureurs, qui allez être trois semaines durant notre porte-parole à travers la France entière, que nos vœux les plus ardents vous accompagnent, que la grande bataille que vous allez livrer au soleil, à la chaleaur, à la fraîcheur des nuits, aux traîtrises des routes obscures, que la lutte vous soit favorable ! Rapportez un peu de cette moisson dorée que je jette largement pour vous. L’œuvre que nous voulons accomplir, c’est vous qui en serez chargés pendant trois semaines.

Vous êtes les rudes et inconscients semeurs d’énergie, au passage desquels la foi sportive va triompher une fois de plus.     

L’Auto, 1er juillet 1903

 

Ode au Galibier

Ô Sappey ! Ô Laffrey ! Ô col Bayard ! Ô Tourmalet ! Je ne faillirai pas à mon devoir en proclamant qu’à côté du Galibier vous êtes de la pâle et vulgaire « bibine » ; devant ce géant il n’y a plus qu’à tirer son chapeau et à saluer bien bas !

Comme il nous semblait que nous l’escaladions depuis des heures, nous avons demandé à des paysans, au seuil de leurs chaumines enfouies au creux des rocs : « Le sommet est-il loin ? « Plus que 12 kilomètres » nous ont-ils répondu ! » Et dans les virages innombrables de la route, nous apercevions au-dessous de nous, très haut, des fourmis qui avançaient ; c’étaient nos hommes occupés à grignoter le monstre des dents de leurs pédales. Enfin le sommet fut en vue, au moment où les neiges commençaient à nous entourer de toutes parts. Une dernière résistance de la nature, quelques edelweiss, quelques héliotropes que nous tendent d’adorables petits sauvages savoyards ; puis la neige figeant tout de son linceul silencieux. Notre route s’ouvre à peine entre deux murailles de neige, route écorchée, cahoteuse depuis le bas. Il fait, là-haut, un froid de canard, et lorsque Georget passe, après avoir mis son pied vainqueur sur la tête du monstre, lorsqu’il passe près de nous, sale, la moustache pleine de morve et des nourritures du dernier contrôle et le maillot sali des pourritures du dernier ruisseau où, en nage, il s’est vautré, il nous jette, affreux, mais auguste : « Ça vous en bouche un coin ! ».            L’Auto, 11 juillet 1911

 

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