À en croire les récentes déclarations de Marine Le Pen, le RN serait devenu, au niveau de son positionnement sur le conflit israélo-palestinien – comme sur l’antisémitisme ou la défense de la République – un parti de droite traditionnel, voire le dernier héritier du gaullisme. La dirigeante d’extrême droite n’en finit plus de revendiquer l’héritage du fondateur de la Ve République, multipliant les citations et les références à « l’homme du 18 juin ». Une telle revendication ne cesse d’intriguer, tant l’antigaullisme a constitué le ciment de la fondation du FN en 1972, le Général faisant l’objet d’un rejet viscéral tant de la part des nostalgiques de la France de Vichy que de ceux de l’Algérie française.

Seuls 42 % des électeurs LR jugent que le RN est un parti xénophobe

Mais, gaulliste, le RN l’est-il vraiment devenu ? L’observation attentive et précise des prises de position des dirigeants du RN depuis un mois démontre plutôt le contraire. Quand le général de Gaulle manifestait une opposition nette à l’expansionnisme du projet sioniste dans les années 1960, au nom du droit des Palestiniens à demeurer sur leur terre, les députés du RN font montre d’un soutien sans nuance à Israël. Tout à la dénonciation des actes terroristes du Hamas, ils assimilent les Palestiniens et leurs défenseurs à l’islamisme radical, l’ennemi numéro 1 du RN, loin de la position d’équilibre que revendiquait de Gaulle. À rebours des dénégations publiques de Marine Le Pen, ce qui caractérise la position de son parti sur ce conflit, et plus généralement sur les questions internationales, est avant tout « occidentaliste ». Elle postule l’idée d’un bloc occidental confronté à une guerre des civilisations, dont Israël est présenté comme la ligne de front dans le monde arabo-musulman. Cette opinion, qui émerge après le 11-Septembre, n’a jamais varié, et démontre qu’il faut plus souvent juger le RN à ses positions depuis deux décennies qu’aux discours circonstanciels de sa dirigeante qui parie sur l’amnésie de l’opinion et le peu de contradiction que lui opposent les médias.

Ce qui renforce la confusion ambiante concernant les frontières entre la droite traditionnelle et l’extrême droite tient en réalité moins à la nature profonde du RN qu’à la porosité croissante entre LR et l’ancien Front national. Sur le soutien à Israël au nom d’une position occidentaliste, droite et extrême droite marchent de concert depuis le 7 octobre. Cette convergence ne se limite pas au conflit israélo-palestinien, mais s’étend à une large partie des valeurs des électeurs des deux formations politiques. Alors que l’on décrit généralement les électeurs de droite comme tentés de rallier la majorité, c’est beaucoup plus vers les idées du RN que ces derniers penchent. Les enquêtes sur les valeurs politiques conçues par les chercheurs en science politique en attestent depuis le milieu des années 2000, à l’image de l’étude Fractures françaises, menée par le Cevipof depuis plusieurs années, qui témoigne dans son édition 2023 d’une confluence des valeurs entre les électeurs de LR et ceux du RN sur au moins trois thématiques centrales.

La première concerne le rapport au passé. 80 % des électeurs LR disent s’inspirer des valeurs du passé, un pourcentage proche des 88 % atteints chez les électeurs RN, et largement au-dessus de la moyenne nationale (71 %) et de la majorité Renaissance (ex-LREM) (58 %). Idem pour l’attachement à l’adage « c’était mieux avant », partagé par 80 % des électeurs LR et 91 % des RN, au-dessus de la moyenne nationale (73 %) et largement au-dessus de Renaissance (52 %).

L’avènement d’Emmanuel Macron en 2017 et le siphonnage en règle de la droite par le président de la République ont eu pour effet de vider le parti de ses éléments modérés

Le second sujet de rapprochement touche à la demande d’autorité. Alors que la société française est tout entière travaillée par ce fantasme, la formule selon laquelle « la société française a besoin d’un homme fort pour remettre de l’ordre » réunissant 82 % des Français interrogés, ce score est beaucoup plus prononcé à droite (92 %) et au RN (97 %) qu’à Renaissance (72 %) ou à LFI (65 %).

Le troisième point de rencontre concerne le rapport à l’immigration et au nationalisme. Si 64 % des Français estiment qu’« on ne se sent plus chez soi comme avant », ils sont 74 % des LR et 92 % du RN à le penser, contre 46 % à Renaissance ou 33 % à LFI et au PCF. Dans le même esprit, deux tiers de la population continue de déclarer qu’« il y a trop d’étrangers en France », mais la formule suscite un véritable clivage entre droite-extrême droite d’une part (respectivement 77 % et 96 %) et Renaissance et le pôle LFI-PCF de l’autre (55 % et 36 %). Nouveau signal de cette convergence des inquiétudes et de la banalisation du RN par les électeurs de la droite traditionnelle : seuls 42 % des électeurs LR jugent que le Rassemblement national est un parti xénophobe, alors même qu’ils étaient 62 % en 2017, un score qui tranche avec les 76 % des électeurs de Renaissance (50 % de la population totale).

Ce partage des valeurs entre droite et extrême droite peut s’expliquer de plusieurs manières. La droitisation des électeurs LR depuis le quinquennat Sarkozy en est une : sa présidence a vu débuter une dérive des anciens gaullistes vers la droite de la droite, jugée mieux correspondre aux temps troublés que nous vivons par un électorat de droite déboussolé et vieillissant. L’avènement d’Emmanuel Macron en 2017 et le siphonnage en règle de la droite par le président de la République ont par ailleurs eu pour effet de vider le parti de ses éléments modérés, ne laissant que les plus radicaux s’arcbouter sur les sujets régaliens.

Les plus optimistes tempéreront cependant ce constat d’une concordance croissante entre les deux électorats : les électeurs du RN se définissent comme avant tout en colère (63 %), mais seulement 35 % des LR partagent ce sentiment. Surtout, à la question essentielle de savoir si « la société que prône ce parti est globalement celle dans laquelle (ils) souhaitent vivre », seuls 41 % des électeurs de droite répondent par l’affirmative (contre 36 % des Français) : une preuve que le RN a encore fort à faire pour convaincre les Français de la pertinence de son modèle de société. 

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