25 septembre 2022. Les élections politiques en Italie voient la victoire de la coalition dite de « centre droit » rassemblant la Ligue de Matteo Salvini, Forza Italia, le parti fondé par Silvio Berlusconi, et Frères d’Italie de Giorgia Meloni, cette formation devenant le premier parti du pays, avec plus de 26 % de suffrages grâce à un spectaculaire bond en avant de 22 points par rapport au précédent scrutin de 2019. Giorgia Meloni, âgée de 45 ans, appelée à guider le futur gouvernement, sent alors le soufre. Elle a adhéré très jeune à l’organisation de jeunesse du parti néofasciste du Mouvement social italien et fut ministre de la Jeunesse de l’un des gouvernements de Silvio Berlusconi. Dirigeante de son parti de droite radicale fondé en 2013, elle s’est affirmée comme une meneuse politique tranchante, critique de l’Union européenne, souverainiste, nationaliste, populiste, conservatrice, voire réactionnaire, proche des Polonais de Droit et Justice, du Hongrois Viktor Orbán et du parti espagnol Vox. Elle s’est fait connaître par sa fameuse formule, lancée durant un meeting et qui fit le buzz : « Moi, je suis Giorgia, je suis une femme, une mère, je suis italienne, je suis chrétienne. » Les inquiétudes sont alors énormes, plus encore à l’étranger que dans la péninsule : l’Italie connaîtra-t-elle un nouveau fascisme ? Sortira-t-elle de l’Union européenne ? L’économie sombrera-t-elle ?

Elle gouverne son pays et dirige son parti en s’appuyant sur des membres de sa famille et un petit clan de fidèles

22 octobre 2023. Giorgia Meloni a fêté assez sereinement sa première année à la tête du soixante-huitième gouvernement de la République italienne. Nombre de doutes – pas tous, loin de là – ont été levés, et, en vérité, cet anniversaire s’avère mitigé.

D’un côté, la présidente du Conseil a dissipé une partie de la défiance de Bruxelles et des milieux financiers qui avaient en tête ses diatribes contre l’Union européenne. Ne disposant d’aucune marge de manœuvre économique à cause de l’état des finances publiques, ses orientations sont globalement en phase avec les principales indications de la Commission. Cet été, Giorgia Meloni se targuait d’une prévision de croissance de 0,8 % pour 2023 (+ 0,1 par rapport à la moyenne de la zone euro), d’un niveau de chômage de 7,4 % (le plus bas depuis 2009), d’une inflation en diminution (5,3 % en septembre). Son soutien à l’Ukraine ne s’est pas démenti malgré les réticences de ses alliés, la Ligue et Forza Italia, que dirige actuellement le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani. Giorgia Meloni s’est immédiatement rangée du côté d’Israël après l’attaque du Hamas, le 7 octobre, ce qui lui a valu la reconnaissance de la communauté juive qui, il y a quelques années encore, la rejetait. Admirative de Donald Trump, elle a établi un rapport constructif avec Joe Biden, confirmant le traditionnel engagement atlantiste de l’Italie et rompant avec les positions habituelles de sa famille politique. En effectuant trente-sept voyages à l’étranger en douze mois (sans compter ses déplacements à Bruxelles pour les Conseils européens), elle a assis sa crédibilité internationale. Si la popularité de son gouvernement enregistre un fléchissement, la sienne, bien qu’en baisse, reste élevée, d’autant que l’opposition est divisée et que ses leaders, Elly Schlein pour le Parti démocrate et Giuseppe Conte pour le Mouvement 5 étoiles n’arrivent pas à la défier.

C’est sur la question de l’immigration que Giorgia Meloni a enregistré son plus grand échec.

D’un autre côté, son bilan apparaît plus contrasté. La dette publique s’élève à 142,9 % du PIB. Selon le gouvernement, le déficit atteindra 5,3 % d’ici la fin de l’année et la croissance s’avère inférieure aux estimations du printemps dernier. L’annonce d’une taxation des super profits des banques a irrité les décideurs financiers, ce qui a contraint le gouvernement à réduire son montant. Une partie de l’électorat populaire de Giorgia Meloni pâtit de la baisse de son pouvoir d’achat malgré les aides aux plus faibles engagées par le gouvernement. Le chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans s’élève à 21,3 % et le taux est bien plus haut dans le Mezzogiorno, l’Italie du Sud.

Mais c’est sur la question de l’immigration que Giorgia Meloni a enregistré son plus grand échec. Dans l’opposition, elle promettait de stopper les vagues de migrants en recourant à un blocus naval. Or, depuis le mois de janvier, 123 000 personnes ont débarqué sur les côtes italiennes – contre 70 000 en 2022 – malgré les mesures prises pour limiter l’action des ONG qui viennent au secours des réfugiés, les restrictions adoptées quant aux conditions d’accueil et de détention de ces populations ou encore l’accord passé en juillet dernier avec le gouvernement tunisien en présence de la présidente de la Commission européenne. Par ailleurs, le gouvernement a accepté l’entrée dans la péninsule sur trois ans de 452 000 immigrés légaux, sélectionnés pour répondre aux besoins économiques du pays, cédant ainsi à la pression du patronat qui réclame encore davantage de main-d’œuvre étrangère, l’Italie connaissant un hiver démographique. Toutefois, le revers de Giorgia Meloni en la matière est compensé par l’accord obtenu au Conseil européen du 6 octobre et survenu après des polémiques qui se sont estompées rapidement, notamment avec la France, le président Macron cherchant désormais une coopération avec la présidente du Conseil sur ce sujet.

En outre, nombre de réformes annoncées restent en suspens, comme celles de la justice, de la fiscalité ou de la concurrence et la fin d’année s’assombrit pour Giorgia Meloni. Les perspectives économiques sont préoccupantes et la loi de finances, fondée sur une prévision de croissance de 1,2 % alors que celle du FMI ne dépasse pas 0,7 %, ne convainc pas les marchés. Les problèmes structurels de la péninsule – par exemple, la situation du Sud, la faible productivité, la difficile modernisation de l’administration publique ou le retard en matière de recherche et d’innovation – demeurent non résolus.

Elle sait parler à son électorat en rappelant les mesures prises pour renforcer la sécurité contre la délinquance

Des tensions dans le gouvernement se font jour. Matteo Salvini se distingue de Giorgia Meloni en se positionnant à droite pour tenter de reconquérir une partie de son électorat perdu : ainsi a-t-il réussi à imposer une restriction à la durée de la grève nationale des transports organisée par les syndicats le 17 novembre. De son côté, Giorgia Meloni retrouve ses accents populistes et complotistes. Elle se méfie de tout le monde, en Italie comme en Europe. Elle gouverne son pays et dirige son parti, qui n’a pas réuni de congrès depuis 2017, en s’appuyant sur des membres de sa famille et un petit clan de fidèles. Elle donne souvent l’impression de naviguer à vue. Ainsi a-t-elle lancé une réforme constitutionnelle pour élire au suffrage universel le président du Conseil pour cinq ans avec un renforcement de son pouvoir et une modification du mode de scrutin qui donnerait automatiquement 55 % des sièges au Parlement à la coalition victorieuse. Ce projet mal ficelé, qui est loin d’aboutir, suscite non seulement l’inquiétude de la plus grande partie de l’opposition, qui redoute la personnalisation et la présidentialisation d’une république parlementaire, mais aussi un certain nombre de critiques de la part de personnalités de la majorité. D’autant que Giorgia Meloni a eu recours à une formule choc dans une vidéo, en date du 10 novembre, en interpellant de la sorte les Italiens : « Que voulez-vous faire ? Vous voulez compter et décider, ou rester à regarder tandis que les partis décident pour vous ? »

Habile politique et remarquable communicante, elle sait parler à son électorat en rappelant les mesures prises pour renforcer la sécurité contre la délinquance, en fustigeant l’immigration et en se référant aux valeurs traditionnelles synthétisées dans son triptyque : « Dieu, famille, patrie ». Cela se traduit, par exemple, par diverses dispositions supposées relancer la natalité et des projets de loi visant à s’opposer à la gestation pour autrui (GPA). Par ailleurs, elle a mis en coupe réglée la RAI qui gère les télévisions et les radios publiques, lesquelles relaient continûment ses déclarations et couvrent complaisamment ses actions et ses déplacements.

En 2024, la grande échéance pour Giorgia Meloni sera les élections au Parlement européen. La compétition va être rude avec la Ligue, l’allié de Marine Le Pen – une figure à laquelle Giorgia Meloni ne veut pas être associée ni comparée –, mais aussi avec l’opposition. Ce scrutin indiquera le rapport de force entre les partis. Actuellement isolée après le récent échec électoral de ses amis polonais et des désaccords avec Orban, Giorgia Meloni paraît s’orienter vers la recherche d’un accord avec le Parti populaire européen (PPE, centre droit et droite) et d’autres composantes du Parlement afin de maintenir Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. En retour, elle espère faire glisser davantage à droite les équilibres au sein du Parlement européen, de même que les politiques du Conseil et de la Commission. Tout dépendra évidemment des résultats en juin prochain. Mais l’élection européenne fournira une indication importante pour la suite de son expérience gouvernementale. 

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