Avec le retour des touristes en Inde, les restaurateurs de Bombay, de Delhi ou de Chandigarh revivront un jour ou l’autre un de leurs grands classiques, lorsque des Français commandent un cheese nân, cette spécialité si typique. Un cheese nân, vous dites ? Oui, un nân fromage, quoi. Le nân est ce pain traditionnel servi chaud, un régal en soi, et encore plus lorsqu’il est fourré avec cet onctueux fromage tant apprécié des Français…

 

Le saviez-vous ? L’Inde est le premier producteur mondial de lait avec près de 300 millions de tonnes. Son fromage « vedette », le paneer, est produit à partir de lait de bufflonne, parfois de lait de vache. Mais le paneer, assez insipide, il faut bien le dire, ne peut malheureusement pas contribuer à la confection d’un nân, car il ne fond pas ! Si vous voyez dans le menu d’un restaurant indien du paneer nân, retenez ceci : le paneer sera à côté du nân, pas dedans. En fait, le nân fromage est agrémenté d’un assemblage d’emmental, de comté, de gouda et de cheddar auquel sont ajoutés du lait écrémé, du beurre, des protéines de lait, des polyphosphates, des citrates, des diphosphates et du phosphate de sodium ainsi que du sel, le tout fondu dans des malaxeurs chauffants… Bref, de la vraie Vache qui rit !

 

Ce mystère s’éclaire en suivant l’aventure de Neelam et Narendra Gupta, originaires de Bombay, qui ouvrent en 1976, à Paris, l’un des tout premiers restaurants indiens de la capitale : L’Indra. C’est là qu’a été inventé le cheese nân. Idée de génie qui combine un pain traditionnel du Pendjab et un produit industriel créé à Lons-le-Saunier (Jura).

 

L’histoire commence pendant la Première Guerre mondiale. Léon Bel, fils d’un fromager, est affecté au train des équipages militaires. Ce régiment compte parmi ses unités le RVF (ravitaillement en viande fraîche) dont l’emblème est un bœuf hilare dessiné par Benjamin Rabier. Ce bœuf est surnommé « La Wachkyrie », en référence aux Walkyries, si chères à l’ennemi allemand. Dès la fin des hostilités, Léon revient chez lui, à Lons-le-Saunier, et réalise le potentiel d’un nouveau produit créé en Suisse : la crème de gruyère. Il lance alors sa propre marque en 1921 et lui donne le nom de La Vache qui rit. L’usine ultramoderne ouverte en 1926 produit encore aujourd’hui La Vache qui rit pour la France et une partie de l’Europe.

 

Avec La Vache qui rit, la famille Gupta a trouvé la formule magique, la pâte qui n’existait pas en Inde. Deux portions de Vache qui rit dans un nân et le tour est joué. Mais d’autres restaurants indiens vont bientôt s’ouvrir à Paris. Un Little India est inauguré boulevard de Strasbourg, dans le passage Brady, ouvert par Antoine Ponnoussamy. Des travailleurs venus du sous-continent indien sont bienheureux de retrouver les saveurs épicées de leurs régions au Pondichéry. Le passage devient bientôt une vitrine de la cuisine indo-pakistanaise. Tous ces restaurants s’observent, se copient et tous adoptent la recette indo-parisienne qui fait florès, le nân à La Vache qui rit. Vous aurez compris qu’en Inde, les amateurs de cheese nân laissent certains restaurateurs interloqués, désemparés ou ironiques. Mais à Paris, La Vache qui rit, nouvelle vache sacrée, est entrée pour toujours au panthéon des restaurateurs indiens. 

 

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