Pour certains d’entre nous, les fromages sont un objet de gourmandise sans pareil. Une fromagerie les fait humer et saliver bien plus que n’importe quelle pâtisserie. Ils veulent tout goûter : les fromages connus, pour les retrouver et les comparer à leurs souvenirs ; les fromages inconnus, pour élargir la palette et découvrir un ailleurs peut-être merveilleux. Pour d’autres, c’est un endroit effrayant qu’une fromagerie, puante, vivante et – qui sait – grouillante. Ceux-là se contentent d’un gruyère sous plastique s’il faut vraiment en passer par la case fromage, éventuellement d’un peu de matière filante sur la pizza, voire s’abstiennent carrément. Qui suis-je pour juger ?

Ce troisième numéro que le 1 consacre cet été aux « ferments » (après ceux du pain et du vin) rend hommage à la multitude des fromages de l’Hexagone. Savoir exactement combien il y en a revient à ouvrir une controverse historique. Selon Winston Churchill, leur nombre était de 365, chiffre moulé à la louche pour montrer que, chaque jour de l’année, on pouvait déguster en France un fromage différent : un tel pays ne pouvait pas perdre la guerre ! Le général de Gaulle s’arrêtait à 258. Cela suffisait à étayer son jugement navré sur la IVe République, régime faible et instable : avec tant de fromages, autrement dit tant de nuances et de divisions, comment voulait-on que la France fût gouvernable ? On le voit, l’affaire est politique, comme toute chose en ce pays. Le gastronome Périco Légasse tranche la querelle des chiffres dans l’entretien qu’il nous a accordé, et explique aussi que les tentatives pour bannir le lait cru et affadir les appellations d’origine se poursuivent à l’échelon européen. La poussée hygiéniste dans laquelle nous sommes entraînés depuis des mois risque-t-elle de renforcer la cause des fromages industriels ? Ces derniers ont aussi leurs monuments, telle la vénérable Vache qui rit dont Éric Azan nous raconte l’étonnant come-back !

Il y a en France deux sortes de fromages qui rassemblent par-delà ce clivage gustatif : le fromage littéraire et le fromage métaphorique. Le poème le plus connu des Français est la fable de La Fontaine Le Corbeau et le Renard – qui circule aussi en version argotique comme on le voit en page 4. Quant au fromage métaphorique, c’est celui dans lequel nichent tant de profiteurs du « système ». Qui peut jurer n’y avoir jamais, au grand jamais, goûté ? 

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