Fromagerie-restaurant Monbleu, dans le IXe arrondissement de Paris. Mon mentor est Joseph Maïla, diplomate, professeur de science politique et grand connaisseur de la chose fromagère. Nous avons pris date pour un déjeuner et une conversation « tout fromage » – une de ces transmissions de savoir à bâtons rompus qui sont un pur bonheur. Mais quand mon hôte prend la parole d’une voix chaude et joyeuse, je comprends que j’ai affaire non seulement à un amateur, mais à un conteur. Ses phrases sont simples et ciselées, je les retranscrirai pratiquement au mot près. « Si vous voulez, nous ferons une dégustation de fromages », commence-t-il. Nous sommes partis pour un voyage érudit, et je sens que cette dégustation sera mémorable.

Afin de faire notre choix, nous nous plantons au milieu de l’espace fromagerie : les trésors sont là, rangés par type, dans de grandes armoires-vitrines. La maison nous propose neuf fromages à la carte cette semaine. Trop peu ? Très bien, au contraire ! Tout réjouit notre amateur.

« Quand je fais un repas de fromages, il peut y en avoir jusqu’à 70 sur le plateau, mais l’essentiel n’est pas là : tout est dans la qualité et la composition. Le fromage est une culture qui doit beaucoup aux Romains. Il faut lire Pline l’Ancien ! Fourme, formaggio en italien, fromage en français, tous ces mots viennent de la forme dans laquelle était moulé le caillé dans l’Antiquité. L’important est de composer le plateau dans l’ordre dans lequel on le mange. On commence toujours par les chèvres. Nous avons sous les yeux une collection classique : pélardons, crottins, bûches… La plupart des chèvres se mangent après trois à six semaines d’affinage, même s’il existe des tommes de chèvre vieillies. Je cherche le mothais sur feuille, un produit des Deux-Sèvres qui est extraordinaire… Ah, voici toujours le banon de Haute-Provence entouré de ses feuilles de châtaignier. Le sainte-maure de Touraine, très bon, n’est pas tout à fait de saison. La bonde de Gâtine cendrée a une texture un petit peu fermée, pas trop serrée mais pas trop molle, c’est un affinage de trois semaines : il faut retourner le fromage pour voir s’il a perdu son humidité. »

Le professeur aborde la deuxième vitrine l’œil brillant, possédé par son sujet.

« Passons aux pâtes molles, tout ce qui n’est ni pressé ni cuit : les camemberts, les bries, les chaources, le coulommiers… Les reblochons, vous dites ? Non, les reblochons sont un peu chauffés. On va retrouver, ici, les pâtes molles à croûte fleurie : leur croûte s’oxygène et donne naissance à ces taches dorées qu’on voit sur les camemberts. Mon camembert préféré est le Jort : c’est une fabrication assez confidentielle. Quand je vais en Normandie, je fais ma provision ! Le brie est le fromage de Talleyrand. Il aimait tellement le brie de Meaux qu’il en faisait venir chaque semaine durant le congrès de Vienne, en 1815 : il l’avait baptisé « le roi des fromages ». Voici l’extraordinaire soumaintrain, qui n’est malheureusement pas sur la carte. Là ! Un époisses – pour Brillat Savarin, c’est lui « le roi des fromages » ! Il a une histoire extraordinaire que je vous raconterai. C’

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