Pourquoi j’écris en français
Temps de lecture : 11 minutes
Par Velibor Čolić
En 1992, à l’âge de 28 ans, Velibor Čolić arrive en France après avoir déserté l’armée bosniaque. Il a évoqué sa découverte du pays et son apprentissage de la langue dans un doux-amer Manuel d’exil : Comment réussir son exil en trente-cinq leçons (Gallimard, 2016). Il écrit ses livres en français depuis 2008 et a dernièrement publié Le Livre des départs (id., 2020).
J’arrive en France à 28 ans avec trois mots français pour unique bagage : « Jean », « Paul » et « Sartre ». La langue française n’existe pas dans les pays d’Europe du Sud-Est. Mais sa littérature, elle, existe. J’explique : peu de gens savent parler français, mais il y a beaucoup de traductions. J’ai lu tout Camus, tout Baudelaire en serbo-croate. La littérature survit très bien sans la langue ! Et la littérature française m’a habité avant même que je ne parle français.
J’arrive donc en France en réfugié. Mon pays, la Yougoslavie, avait disparu dans le feu et dans le sang. Ma langue maternelle, le serbo-croate, avait disparu avec le pays. J’avais même perdu pendant quelque temps mon humanité, parce que j’étais soldat. Un soldat malgré moi, mais un soldat quand même. Quand il y a eu le massacre de Srebrenica, j’ai compris que je ne pourrais plus jamais retourner au pays. C’est amer, c’est difficile, je compare cela à une énorme claque. Et moi, toute ma vie, je n’avais affiché qu’une seule ambition, c’était d’être écrivain. Il me fallait écrire. La main qui tenait une kalachnikov doit reprendre le stylo. Alors j’ai dû apprendre le français de A à Z. J’ai essayé d’apprivoiser peu à peu cette langue qui, pour nous les Slaves, est vraiment du chinois. Et je me suis simplement installé dans la langue. Un réfugié comme moi n’habite pas que le territoire, il habite aussi la langue. D’ailleurs, je compare souvent le français à un appartement de location. On sait bien que ce n’est pas à nous, mais avec le temps, on l’adapte, on l’arrange, on s’y installe, jusqu’à s’y sentir chez nous.
Maintenant, le français est ma langue professionnelle. Je ne me pose même plus la question lorsque je commence à écrire un nouveau roman. Je l’écris dans ma langue française. On ne peut plus me l’enlever. Je l’emporte partout avec moi. Elle n’est pas parfaite ! Je n’ai jamais pris de cours, je l’ai apprise en autodidacte. En dictée, je serais sûrement catastrophique ! Mais elle me suffit. C’est dans cette langue que j’ai vécu des humiliations, des premiers amours, des choses métaphysiques et charnelles, mon premier prix littéraire. C’est une autre façon d’apprendre la langue des autres...
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