La langue française fait aujourd’hui l’objet de tensions et de débats passionnés. Est-ce un phénomène inédit dans notre histoire ?

Non, la langue est éminemment politique, en France comme ailleurs, aujourd’hui comme par le passé. Pour les Grecs anciens, le logos, propre de l’homme, signifie en même temps « langage » et « raison », mais désigne par excellence la langue grecque. Les « autres », ceux qui ne parlent pas grec, sont des « barbares ». De là cette première scission : l’étranger, celui qu’on ne comprend pas, est-ce vraiment un homme comme nous ?

En France, avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, François Ier décide que les actes de justice seront rendus « en langage maternel français » et non plus en latin : les justiciables auront enfin une chance de les comprendre – mais c’est encore un acte politique, contre les clercs, contre le pape, contre le Saint-Empire. À la Révolution, l’Abbé Grégoire, prône l’unité de la nation : avec l’état civil, les poids et mesures, le suffrage universel, l’abolition de l’esclavage, il réclame d’« anéantir les patois ». Notre Constitution depuis 1992 indique que « la langue de la République est le français ». Non seulement la langue est politique, mais chaque fois qu’on légifère, on est sur le fil du rasoir : qui en France parlait français comme le roi ? que deviennent les langues régionales ? sait-on que la loi Toubon de 1994 n’impose pas l’usage exclusif du français, mais favorise l’invention terminologique et la traduction ? Toutes les décisions qui ont trait à la langue sont des actes politiques pour le meilleur et pour le pire.

La langue sert-elle aussi l’affirmation d’une identité ?

Oui, mais il y a plusieurs façons d’affirmer son identité, et l’on peut parler plusieurs langues. Notre langue peut être une parmi d’autres. C’est le modèle de l’Empire romain, par exemple, qui disposait d’une langue politique commune, partagée, le latin, d’une langue de culture, le grec, et enfin de la langue maternelle de chacun, comme le gaulois – modèle que l’Europe s’efforce d’ailleurs aujourd’hui de reconstituer tant bien que mal, en recommandant « deux langues plus une ». C’est une vision opposée à celle du premier modèle grec, où le logos représente l’universel par excellence. Elle s’oppose aussi aux avat

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