Quand ce métier vous tient aux tripes, que vous l’avez choisi non pas comme une profession mais comme une façon d’être au monde ; une liberté, un mode de vie, une allégresse ; un prétexte pour vibrer aux soubresauts de la planète, et une raison pour aller voir de près ce que vivent les autres, si possible très loin, et de façon intense…

Quand, à cause de ce métier ou peut-être grâce à lui, vous êtes perclus de doutes, de questionnements multiples, de tiraillements sans fin ; que la griserie des départs en reportage se paye irrémédiablement d’angoisses folles pour écrire ; qu’à tout prix vous souhaitez harponner votre lecteur, le contraindre à une pause dans le tumulte qui l’entoure, le passionner, le secouer, l’interpeller, peut-être l’émouvoir et le mobiliser, qui sait ?, lui interdire l’indifférence…

Quand vous peinez à trouver les mots, le ton, le style, la perspective adéquate ; que vous savez qu’il faut doser ses émotions et ne pas s’enflammer, limiter ses effets comme ses adjectifs, ne pas faire preuve de naïveté mais garder sa fraîcheur ; chercher la vérité, fragile, mouvante, parfois aussi fuyante que la ligne d’horizon…

Alors… Alors vous avez besoin d’une figure de référence. D’un maître, d’un sage, à qui vous faites confiance. D’un confrère que vous admirez, le mot n’est pas trop fort. Qui vous épate par sa culture, sa rigueur, son élégance. Qui connaît le métier mieux que vous, ô combien ! En maîtrise les codes, la discipline, les exigences. Sait alterner enquêtes, billets, interviews, éditos. Vous bluffe, tant il sait prendre de la hauteur sans prendre ses distances. Mais jamais ne se vante ni ne se pousse du col, ne vous raconte ses guerres, encore moins ses triomphes. Un homme honnête vers qui, sans crainte, sans honte, vous pouvez vous tourner, pour demander conseil ou confier vos tourments.

Laurent était celui-là. Il accueillait mes questions d’un sourire amusé, apaisait mes doutes et moquait mes impatiences ou élans trop fougueux. Son calme et son extrême pudeur, parfois, me déconcertaient. Sa tolérance, sa bienveillance, toujours, me rassuraient. Car il avait le goût des autres et l’âme infiniment sensible. Il était exigeant, certes, élitiste parfois, mais tirait vers le haut. Il se faisait une si noble idée du métier de journaliste ! Farouchement attaché à l’éthique et à l’indépendance. À jamais homme du Monde. Certains le croyaient austère, quelle erreur ! Dans son regard brillaient mille paillettes de gaieté. Il était un phare, une balise dans la tempête des doutes. Une boussole pour toujours garder le cap. Il était si précieux. 

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