De A comme « amitié » à V comme « vieille prune », l’équipe du 1 rend hommage au journaliste et au compagnon de comité de rédaction qu’était Laurent à travers cet abécédaire éclectique et fantaisiste, à l’image de celui qui l’a inspiré. Nous présentons également cinq de ses ouvrages, reflets de ses goûts et de sa personnalité.

 

AMITIÉ

par Patrice Trapier, membre du comité de rédaction

Longtemps, j’ai été l’ami de Laurent sans l’avoir jamais rencontré. Étudiant au Centre de formation des journalistes, je dévorais ses portraits en double page, coécrits avec Daniel Schneidermann. Ces longues enquêtes et quelques livres, dont le Beuve-Méry, ont plus sûrement formé mon goût pour le journalisme que bien des cours du CFJ. Si l’on m’avait dit que ce « maître en écriture » n’avait que cinq ans de plus que moi…

J’ai rencontré Laurent grâce au 1. Il était tel que je le lisais : traquant le mot inutile, préférant les faits qui parlent aux commentaires qui assomment. J’ai découvert que, sur son ordinateur, Laurent écrivait dans un cadre étroit avec de très grandes marges, j’ai vite adopté cette mise en page qui permet la liberté au bout de la contrainte.

Laurent concluait ses courriers d’un bref « À toi ». Il aura fallu qu’il s’absente pour que je comprenne que ces quatre lettres étaient la marque du passeur. Le propre des amis, au sens de la philia grecque, c’est qu’ils nous parlent même quand ils ne sont pas là. 

 

LOYAUTÉ

par Natalie Thiriez, directrice artistique

Dix ans qu’Éric, Laurent et moi avons cofondé le 1. La vie d’un journal est tumultueuse entre périodes fastes et difficiles. Sans cesse se réinventer, se remettre en question, s’adapter. Chaque semaine, retrouver l’énergie d’un premier numéro. Débattre, frotter nos points de vue sans jamais se friter, telle a été la force de notre trio. Laurent endossait volontiers le rôle de l’avocat du diable. Il aimait les idées poil à gratter, riait de ses audaces, prenait un malin plaisir à avancer des paradoxes parfois improbables. Mais lorsque sonnait l’heure de la décision, le consensus toujours se faisait. Parce que nous étions d’accord sur l’essentiel et que nous avions trop de respect les uns pour les autres pour que jamais ça ne dérape. Laurent était royal, loyal – une loyauté exigeante qui nous a obligés et nous obligera encore longtemps, car nous nous interrogerons sans cesse sur ce qu’en aurait pensé Laurent. 

 

CHEVELURE

par Claire Martha, illustratrice et infographiste

Laurent et sa toison d’argent que jalousent secrètement encore beaucoup d’hommes et de femmes ont toujours nourri ma fascination pour lui. Certains pouvaient croire à tort à un magnifique toupet, tellement la ressemblance avec la royale perruque de Louis XVI était frappante. Laurent et sa crinière venaient quotidiennement nous saluer au studio, nous faisant l’honneur de leur scintillante présence. Laurent était et restera dans ma mémoire, un être rare et brillant, à l’image de sa précieuse chevelure. 

 

Élégance

par Tony Ingrao, responsable marketing et digital

Élégance, comme ce mot résonne à la pensée de Laurent. Tout en lui en émanait : sa posture, son phrasé, ses costumes, ses salutations, son sourire plein de malice, sa mesure ou encore son sens du débat. Il excellait dans cet exercice que nous aimons tant, en écoutant et en respectant chaque avis puis en y répondant – avec un sourire et souvent dans la contradiction – pour nous apporter ses connaissances sans jamais donner la leçon. Ou plutôt une seule, sans même le vouloir : une leçon d’élégance. 

 

SUSPENSION

par Maxence Collin, secrétaire de rédaction

C’était d’abord un pas discret, à peine audible, puis un visage qui émergeait dans la salle de rédaction, et l’esquisse d’un sourire ami, menton relevé, pour l’inspection des troupes : « Tout va bien ? » L’œil plissait, malicieux. Instant suspendu. Il était ainsi, Laurent, arrêtant un moment le temps du journal pour un échange à bâtons rompus, généreux d’anecdotes, prodigue de conseils, curieux d’un avis. Vous vous lanciez avec élan dans vos idées du moment, il écoutait, attentif, retenu, tandis que s’emmêlaient laborieusement vos nœuds au cerveau. Lui, alors, concluait : « Hmm… Tu crois ?… » Et le léger doute qui flottait dans ces trois petits points de suspension se muait bien vite en un rire amical et communicatif. C’était là un scepticisme sans cynisme, disait Éric, sans surplomb aussi. Une invitation à n’être pas trop définitif, mais sans rien s’interdire. Lui-même ne dédaignait pas la hardiesse ni les idées provocantes. Affirmer, oui, mais par morale provisoire ! Oser, mais en suspens, pour voir, et garder la porte ouverte. La sienne, en tout cas, l’était toujours pour nous. On devinait parfois des questionnements secrets, une pudique inquiétude. Et si tout ne tenait qu’à un fil ? « Glissez, mortels, n’appuyez pas… » 

 

STAËL, NICOLAS DE

par Sylvain Cypel, membre du comité de rédaction

On était dans les premières années 2000. Au Monde, on m’avait affecté à un poste de responsable des suppléments aux côtés d’un nommé Laurent Greilsamer. J’étais entré au journal quatre ou cinq ans auparavant. Laurent, lui, y était déjà depuis vingt-cinq ans. Or, si j’avais compris quelque chose au Monde, c’est que, tant qu’on n’avait pas au moins dix ans de présence, on n’était pas encore vraiment « du Monde ». Laurent et moi ne nous connaissions pas. J’étais donc dans l’expectative. Ça s’est passé extrêmement facilement. Il préparait un livre sur René Char. Moi, j’avais un oncle qui, adolescent, avait connu Char. Pas le poète, mais le Char résistant du Vercors. Laurent voulait absolument son adresse. Je la lui ai donnée et ils se sont vus. Il a commencé à évoquer avec moi la préparation de son nouveau livre. Il avait déjà écrit son « prince foudroyé », sur Nicolas de Staël. Là, il parlait de Char et j’écoutais, admiratif. Plus tard viendront des ouvrages sur Gérard Fromanger, George Sand, Picasso. Peinture, littérature, lorsque Laurent parlait d’art, de culture, on se taisait pour écouter. 

 

Vieille prune

par Claire Hennebo, directrice artistique adjointe

« Je vous propose de rester un peu après notre réunion, pour que l’on se retrouve autour d’un petit pot. J’ai rapporté quelques petites choses du Lot. » Un rire dans la voix, et son sempiternel sourire espiègle : Laurent était là.

Chacun saura vous dire son élégance, son intelligence et son calme. Laurent Greilsamer, l’homme brillant et passionnant, capable d’arrêter toute une équipe dans sa besogne pour lancer un débat sans jamais le terminer. Mais mon Laurent préféré était ce Laurent mutin, qui avait le goût des moments partagés.

Tous nous réunir. Ouvrir la vieille prune. Écouter les rires et les anecdotes s’élever. Et lui qui, souvent, finissait par ne plus rien dire pour nous observer, semblant simplement apprécier nous voir échanger. C’était Laulau. Le meilleur pour nous rappeler l’importance du collectif et de ces temps ensemble, et nous rassembler.

Dans nos bureaux, je promets que vous trouverez toujours une bouteille de vieille prune. Elle ne sera probablement pas importée directement de son cher Lot, j’en suis désolée. Mais elle sera là, nouvelle ou entamée, prête à être ouverte en son honneur. 

 

DÉLICATESSE

par Anne-Sophie Legan, responsable de la fabrication

Ta délicate finesse-gentillesse t’allait bien, je l’appréciais, elle me touchait. Triste de ton départ, de là où tu es, telle une lumière, ils apprécieront aussi sûrement là-haut. Plein d’amour. 

 

Dessert

par Julien Bisson, rédacteur en chef

La première fois que Laurent m’invita à déjeuner, comme il le ferait ensuite à intervalles réguliers, je lui fis l’affront de ne pas prendre de dessert. Je devais découvrir plus tard que si Laurent avait bien souvent un appétit d’oiseau, il n’en restait pas moins un bec sucré. Mais que, pour autant, sa politesse lui interdisait de dévorer devant un convive à l’assiette vide. Son regard déçu fut éloquent, et dès le déjeuner suivant, je conservai de la place pour une douceur.

Je compris bien vite que le dessert n’était pas seulement le moment de la gloutonnerie. C’était aussi celui où les choses sérieuses commençaient. Où l’on parlait des autres, un peu – Laurent était continuellement soucieux du bien-être de la rédaction. Et où l’on parlait de nous, beaucoup, lui toujours attentif à mes états d’âme, moi toujours curieux de ses souvenirs, de ses anecdotes, qu’il égrenait avec gourmandise et chaleur. Un jour, c’étaient ses aventures en Corse, auprès des militants nationalistes. Un autre, ses déjeuners avec tel homme de pouvoir, qu’il n’hésitait pas à qualifier d’un juron presque gascon. Il n’y avait aucune forfanterie ni nostalgie dans ces confidences. Mais bien plutôt le plaisir de partager l’expérience d’un métier qu’il n’avait jamais cessé d’aimer, ce métier qui doit « servir » plus que « desservir », et dans lequel il souhaitait qu’à notre tour, nous croquions à pleines dents. Rassasiés, nous rentrions ensuite en cheminant dans les rues du 9e arrondissement, avant de grimper vers nos bureaux.

Souvent, je me suis demandé pourquoi un journaliste de son expérience et de son envergure s’était lancé dans un projet si artisanal, peuplé de vieux amis et de jeunes gens mal dégrossis. J’ai mis des années à réaliser que, dans le grand festin que fut sa carrière, Laurent avait sans doute eu envie de s’octroyer un dernier dessert. 

 

« DEMANDE PEUT-ÊTRE À ÉRIC OU À JULIEN… »

par Anne Hartenstein, attachée de presse

« Demande peut-être à Éric ou à Julien. J’irai s’ils disent non, mais je suis certain qu’ils feront ça mieux que moi. » Pourtant très à l’aise derrière un micro ou devant une caméra, « très bon », nous disions-nous, Laurent préférait se mettre en retrait lorsqu’il s’agissait de représenter le 1 hebdo dans les médias. Discret comme toujours, il avait choisi de rester dans l’ombre, minorant avec pudeur et modestie, vis-à-vis de l’extérieur, son rôle pourtant primordial dans la gestion et la fabrication du journal. Une réserve qu’il conservait au sein de notre équipe – on ne se refait pas –, sans se douter à quel point il était pour nous tous et pour chacun d’entre nous un pilier, une boussole, un fin analyste de notre époque. 

 

CONTRE-PIED

par Vincent Martigny, membre du comité de rédaction

L’un des plaisirs subtils d’une conférence de rédaction au 1 en compagnie de Laurent venait de son goût du contre-pied. Je ne sais pas si la rubrique qui porte ce nom dans le journal est l’une de ses inventions, mais cela ne m’étonnerait pas, tant Laurent était passé maître dans cet art de prendre une question à rebrousse-poil. Dès qu’il sentait qu’un consensus (souvent mou) s’établissait autour d’une idée trop facile – que cela fut moralement ou intellectuellement –, dès qu’un sujet s’imposait de manière trop évidente, il ne pouvait s’empêcher de proposer une tangente, d’inverser la hiérarchie des arguments, de penser contre. Contre lui-même d’abord, comme une hygiène intellectuelle nécessaire face aux fausses évidences et aux vérités de façade. Mais aussi pour nous. Car pour Laurent, penser contre, c’était penser avec. Nous aider à préciser notre pensée, à affûter nos arguments, à sortir de notre zone de confort. Dès lors, ce qui aurait pu être pour un autre une mauvaise manie était chez lui le révélateur de son immense générosité intellectuelle. 

 

MENTOR

par Manon Paulic, journaliste

Il y a bientôt dix ans, le 1 déployait pour la première fois sa grande feuille de papier imaginée par de drôles d’oiseaux. L’un d’eux, en particulier, a eu la bonté de me prendre sous son aile. À la jeune journaliste inexpérimentée que j’étais, il a inculqué les fondamentaux du métier avec rigueur et patience. Pour lui, l’écriture était affaire de clarté, de concision, mais aussi de liberté. Les ailes des débutants, on pouvait bien les froisser, mais certainement pas les couper. Ses suggestions s’avéraient toujours précises, justifiées, et visaient à nous faire réfléchir au-delà des frontières de notre propre pensée. Il aimait nous coincer pour nous voir sortir les armes et argumenter, défendre l’idée en laquelle on croyait. Laurent était un mentor, au sens le plus noble du terme. Il nous bousculait pour s’assurer qu’une fenêtre de notre esprit reste toujours ouverte. Selon lui, un journaliste n’était jamais totalement formé avant d’avoir derrière lui dix années de métier. « Pendant ce temps, tu devras te consacrer pleinement au journalisme, ne pas te disperser », m’avait-il dit. Dix ans tout pile ont passé et, par une nuit d’automne, discrètement, mon mentor s’est envolé. 

 

ATTENTION

par Martin Mauger, secrétaire de rédaction

D’abord, un souvenir. Si récent, si frais qu’on peine à le considérer comme tel. La dernière fois que j’ai croisé Laurent, vendredi 3 novembre, aux environs de 14 heures, sous le grand porche de l’immeuble de la rue Saint-Lazare qui abrite nos locaux : une rencontre à la fois cordiale – comme toujours – et fugitive, un pudique échange de nouvelles qui s’achève par un « À bientôt ». Je me rendais au journal, il en sortait. Il venait, comme je m’en apercevrais quelques instants plus tard, de déposer sur le bureau de chacun d’entre nous une petite enveloppe en papier kraft. À l’intérieur, un exemplaire dédicacé du Prince foudroyé, son livre sur Nicolas de Staël réimprimé il y a peu.

En ce long week-end de Toussaint, l’effectif sur place est réduit. La plupart d’entre nous ne découvriront que le lundi suivant l’ouvrage et les quelques lignes qui, au milieu d’une myriade de points de couleur déposés au feutre, zèbrent la page de titre pour saluer un trait de notre personnalité d’une formule qui frappe par sa délicatesse et sa fulgurance.

Était-ce pour lui une manière de tirer sa révérence ? Peut-être. Nous savions peu de choses de sa maladie et je crois que, dans notre naïveté, notre aveuglement, nous étions nombreux à ne jamais avoir sérieusement envisagé qu’elle pourrait venir à bout de sa jeunesse inoxydable, surtout si vite. Mais les interprétations rétrospectives sont faciles, et souvent fausses. Sur le coup, ce geste, qui résume si bien le Laurent, attentif et attentionné, que j’ai côtoyé au long de la dernière décennie, ce geste élégant et discret, m’a simplement paru l’expression spontanée de sa générosité et de sa fantaisie. Des qualités qui n’étaient pas sans lien avec sa capacité à voir et à saisir, à relever les détails significatifs, à pointer les écueils et à nous alerter. Et son souci constant de se mettre à la place du lecteur ou de son interlocuteur. Toujours aussi vigilant que prévenant. 

 

PARTAGE

par Lou Alexandre, adjointe à la direction financière

Un vendredi peu animé au 24 rue Saint-Lazare, je reçois un mail de Laurent avec pour objet « Apéro ».

Ce n’était pas un modeste apéritif, mais une élégante dégustation de produits lotois qu’il nous proposait. Il était fier de partager avec nous la richesse du terroir de ce département qu’il affectionnait. Rassemblés dans la cuisine, nous écoutions avec attention les récits de Laurent, et plus particulièrement celui de la création du 1. Son talent oratoire, son attention aux détails et son humour le rendaient captivant. 

 

Pince-sans-rire

par Paul Laborde, adjoint d’édition

Il y avait chez lui une sublime énigme. Quelque part derrière son sourire de sphinx – un sourire délicat, féminin – se logeait une appréhension comique du monde qu’il taisait sous une austérité feinte. Laurent n’était pas quelqu’un d’immédiat : plutôt espiègle qu’hilare, il donnait dans l’aristocratie du rire, pas au sens d’un élitisme mais plutôt d’une sophistication mesurée, mêlant autodérision et pointe d’humour noir. Ses traits d’esprit, parfois sauvages comme le rire doit l’être, perçaient sa retenue et le contraste désarçonnait, une distorsion dans la conversation policée, précédant la déflagration, comme on compte les secondes de l’éclair au grondement. Je comprenais ses plaisanteries comme des gestes pointillistes portant la contradiction, une invitation à regarder, dirait-il.

Je l’ai vu pour la dernière fois le 3 novembre. Sa présence dans les murs se faisait rare, précieuse. Quelques mots échangés pudiquement sur nos vies comme elles vont, mais déjà il fait demi-tour, il ne nous embête pas plus, il nous quitte. Hésitant comme toujours avec lui entre vouvoiement ou tutoiement – ton formel ou familier ? –, je finis par lancer : « Reviens-nous vite, Laurent ! » En refermant la porte du journal, il part dans un grand rire. 

 

Philosophe

par Lou Héliot, journaliste

Il disait volontiers qu’il n’était pas un « intellectuel ». Pourtant, Laurent Greilsamer était l’un des esprits les plus fins qu’il m’ait été donné de connaître. Échanger avec Laurent tenait presque de la leçon de philosophie : une invitation bienveillante à d’abord mettre en question plutôt que chercher à répondre. Laurent avait une façon bien à lui de décortiquer les systèmes, de traquer les failles de raisonnement, quel que soit le sujet. Avec lui, il fallait remettre sans cesse le travail sur le métier et ne jamais céder à la facilité, aux avis trop tranchés comme aux phrases creuses. Il avait également une science de la langue, une éthique de la précision et du mot juste, et savait donner à une phrase toute sa saveur, à un texte tout son sens. Pour reprendre une expression de la philosophe Hannah Arendt qu’il affectionnait, Laurent était l’un de ceux qui avaient appris et savaient apprendre à « penser sans barrières ». 

 

PLAISIR

par Iman Ahmed, responsable de l’édition et des partenariats

On cherche une place de parking dans Saint-Étienne. Depuis dix minutes, peut-être un peu moins, suffisamment pour que Laurent, au volant, envisage de sauter le dîner. S’épargner l’énervement de se garer, c’est se faire plaisir.

Enfin attablés (il y a un parking place Jean-Jaurès), Paul, Amandine et moi avions fait les timides au dessert. Laurent avait dû insister pour les quatre tartes aux fraises. La timidité qui prive de dessert, ça fronçait ses sourcils ; il faut savoir se faire plaisir.

Au 1, quand on hésitait à lancer un nouveau projet, il demandait : « Est-ce qu’on en a envie ? », quand on rencontrait des personnes animées par leur recherche, que ce soit sur la maladie d’Alzheimer ou sur l’AOC du pois chiche, il ralentissait et s’arrêtait sur eux. Laurent avait fait du plaisir une raison valable.

La dernière image que j’ai de lui, c’est à son bureau ; il est penché sur le livre qu’il s’apprête à offrir, un stabilo vert dans la main droite, un stabilo jaune dans la main gauche, par petits coups appliqués, il fait tomber une pluie fluo sur sa dédicace. Comme souvent, je me dis en le voyant : être heureux est sérieux. 

 

Mesure

par Sophie Mingasson, directrice exécutive

« Je mesure la part d’amitié », disait Laurent quand je rendais hommage à l’un de ses livres ou le remerciais pour son aide – souvent décisive – apportée en quelque matière. Sourire taquin, phrase en suspension. Pirouette. Remerciements et compliments mis ainsi doucement à distance. Laurent mesurait la part d’amitié et il en gardait une, une part d’amitié, une mesure d’amitié. Ingrédient secret dont il saupoudrait les choses. Comme un grand pâtissier soucieux des détails et des équilibres. Une part d’amitié, et toujours sa considération.

Nous étions tous « chers ». Notre respect et notre amitié sont grands comme notre peine. 

 

CONSIDÉRATION

par Emma Flacard, journaliste

« Bonjour, chère Emma. » Ces mots résonnent depuis mercredi matin, accompagnés de l’image d’un sourire, discret mais franc. Au bureau, ses attentions rythmaient, en quelque sorte, la semaine. Le lundi matin, avant la conférence de rédaction, lorsqu’il s’enquérait de nos week-ends respectifs, discutant vivement du dernier film vu au cinéma ou de la dernière exposition découverte. Le vendredi, plus occasionnellement, lorsqu’il proposait d’ouvrir une boîte de foie gras ou une bouteille du Lot, d’où il revenait – prétexte pour partager un moment ensemble. Il savait s’adresser aux autres avec délicatesse et bienveillance, témoignant d’un réel intérêt pour celles et ceux qu’il côtoyait. Il prenait le temps d’écouter. 

 

OPTIMISME

par Hélène Seingier, membre du comité de rédaction

Pas facile de discuter des enjeux écologiques avec quelqu’un comme Laurent ! Façonné par les Trente Glorieuses, il était persuadé que la technologie allait sauver l’humanité, qu’ils (au choix : les ingénieurs, les scientifiques, les politiques…) trouveraient bien quelque chose (au choix : pour remettre le CO2 dans le sol, enrayer l’extinction des espèces ou l’érosion des sols). Peut-être ses affirmations étaient-elles aussi une posture, avec ces yeux plissés et ce sourire retenu qu’il arborait lorsqu’il sentait que la provocation était en train de fonctionner. En tout cas, nous avons eu de belles prises de bec sur ces sujets ; moi, la quadra inquiète pour les générations à venir, et lui, tout empreint de son expérience et d’une forme de stoïcisme, persuadé que les lendemains seraient rieurs, une fois retombée la poussière des agitations et des polémiques.

« J’aimerais te transmettre un peu de mon optimisme », m’avait-il dit récemment, alors que je m’inquiétais d’un énième dysfonctionnement planétaire. « L’écologie a son ministère, ce n’était pas le cas il y a cinquante ans. Et puis il y a les énergies renouvelables, et toutes ces choses qui changent. »

Je ne suis pas certaine que nous aurions fini par tomber d’accord, même si la vie lui avait donné dix ou vingt ans de plus parmi nous. Mais de tous les chefs et cheffes que j’ai pu avoir, Laurent aura été celui avec lequel j’ai préféré me disputer. 

 

Juste

par Solène Fombonne, responsable de la communication

C’est le mot qui m’apparaît pour décrire Laurent. Ce grand journaliste qui laissait de la place à tout le monde et accordait de la valeur à chacun au sein de la rédaction. Il dégageait une justesse aussi bien dans ses interventions au sein de l’équipe que dans sa façon de traiter son entourage, en écoutant, toujours sans arrière-pensées.

« Bonjour, chère Solène » – chaque matin, son élégance et sa malice me réjouissaient. 

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