Tu nous aurais vus, mon cher Laurent, lundi, à la réunion hebdomadaire du 1 ! Après les larmes, c’était la grande excitation : chaque membre de l’équipe lançait une idée, avançait une suggestion pour ce numéro spécial qui devait t’être consacré. On n’arrêtait pas de recenser tes qualités et tes mérites. « Moi, je dirais que c’était un type bien », a murmuré une jeune journaliste, approuvée par un silence général.

Il s’est passé alors quelque chose d’étrange : j’ai cru t’apercevoir dans l’assistance, comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve. Le tour de table achevé, tu as pris la parole, pour dire de ta voix habituelle, si posée : « Un type bien ? Je ne le pense pas du tout. » Et de retourner chaque compliment comme un gant. L’instant de stupéfaction passé, des sourires se sont dessinés sur les visages : ça, c’était bien du Laurent Greilsamer !

Que de fois, en effet, tu nous as surpris en contestant ce qui semblait tomber sous le sens ! On aurait dit que tu prenais plaisir à nous désorienter. Goût de la provocation ? Peut-être un peu, mais cette manière d’aller si souvent à contre-courant reflétait ta méfiance à l’égard des évidences trop évidentes, du politiquement correct, du socialement correct, de l’internationalement correct…

Tu étais – mais pourquoi employer l’imparfait, alors que tu n’as jamais été aussi présent parmi nous ? –, tu es un empêcheur de penser en rond. Le journaliste, à tes yeux, ne doit rien prendre pour argent comptant, ne rien affirmer sans preuve. Il ne saurait être un idéologue ou un donneur de leçons, toujours placé du bon côté, qui enfonce des portes ouvertes à grands coups de pied.

On compte sur toi, cher Laurent, pour continuer à nous montrer l’envers du décor, nous mettre en garde contre le sens du vent et nous rappeler inlassablement les vertus du doute. On dit que tu nous as quittés. Je ne le pense pas du tout. 

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