Depuis la révolution industrielle, nous avons bâti trois niveaux de protection pour chacun d’entre nous : la frontière nationale avec une économie pilotée par l’État ; le mariage qui garantit des soins partagés, y compris la pension de réversion en cas de décès du salarié-conjoint, et la Sécurité sociale ; enfin, l’éducation obligatoire jusqu’à 16 ans, la convention collective et les 40 heures – grandes victoires de 1936 – puis les 35 heures. 

Trois remparts, donc. Mais peu à peu, chacun a constaté que ces protections s’étiolaient : les frontières sont de plus en plus ouvertes ; le mariage se perd (65 % des premiers-nés voient le jour hors mariage) et souvent se défait ; et l’entrée dans un emploi stable est de plus en plus difficile et tardive – même si la durée des CDI tend à s’allonger. 

Mais sommes-nous vraiment balayés par un grand vent ultralibéral ou faisons-nous face à une révolution culturelle, technologique et écologique ? Par exemple dans nos lits, de plus en plus éloignés du mariage ? Dans les évolutions de nos métiers ? Dans nos changements de conviction proches du zapping ? Que signifient les colocations, les études longues, les 3 milliards d’humains connectés à Internet, les 6 milliards de téléphones portables, les vingt ans de retraite supplémentaire en moyenne ? Les 61 % du PIB produits dans les grandes métropoles ? Et la COP21 ?

Ne peut-on prendre acte de ce changement de monde et dire que le modèle social de la société industrielle et administrative est devenu obsolète, comme, avant lui, était devenu obsolète le modèle de la protection par les seigneurs et les Églises ? Ne serait-il pas temps d’annoncer un nouveau système de protection bâti sur l’individu mobile pour remplacer les protections stables ?

Le drame est que ceux qui nous gouvernent sont muets. Ils empilent des réformes, pas toutes absurdes, mais jamais expliquées ni mises en perspective. Cette gauche administre, mais ne gouverne plus ! Car c’est à elle d’annoncer que le recul est terminé et que nous construisons un nouveau modèle social, individualisé, pour une société collaborative, discontinue, mobile. Or la gauche, sans théorie de la société et sans projet de changement social, n’est plus qu’une droite humaniste qui laisse le peuple perdu redevenir foule. Et la foule est dangereuse. 

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