Paul Morand - Soir de grève
Temps de lecture : 2 minutes
Il est onze heures du soir
mais qui penserait à dîner ?
La lampe verte
soutient toute la nuit
et chauffe les sonnettes exorbitées, à l’alignement,
et dont chacune fait tressaillir un ministre.
Le Préfet de Police dit :
« Il faut choisir. »
Le Gouverneur militaire desserre son col,
et se rafraîchit les paumes sur sa plaque de grand officier.
Dans l’air tendu de la gare de banlieue
les pavés passaient haut comme des oiseaux.
Les réverbères brisés
montraient leur chair de fonte blême
et des tuyaux rompus
fusaient l’eau et le gaz.
Casques, civières.
Les pieds pris sans les fleurs de la Savonnerie
d’où monte l’ombre,
le Président du Conseil regarde le jardin bleu
et se demande
s’il faudra encore poser la question de confiance.
Rumeurs...
On entend crier un train qu’on égorge.
Mais ce ne sont que des permissionnaires.
Ce n’est encore que du vin rouge.
1917.
Lampes à arc, Au Sans Pareil, 1919, repris dans Poèmes, Gallimard, 1973
© Éditions Gallimard
Paul Morand n’est pas connu comme poète protestataire. Virevoltant tel un homme d’affaires, le nouvelliste et romancier se présente en dandy pressé de jouir, épris à la fois de modernité technologique et nostalgique de la domination bourgeoise d’antan. Mais Soir de grève date de son premier recueil, Lampes à arc, paru en 1919. Le futur écrivain à succès est diplomate ; il a échappé au front pour l’ambassade de France à Londres avant d’être attaché au cabinet d’Aristide Briand, ministre jusqu’en mars 1917. C’est dire qu’il vivra du côté du pouvoir les premières grandes grèves de la guerre, dans les maisons de couture d’abord puis les usines d’armement. Mais le poète « embusqué » n’est pas belliciste. Ses vers jouent des passages entre présent et passé pour cristalliser le moment du choix, avant que la dernière phrase n’augure un futur qui pourrait être violent. Peu d’adjectifs, des phrases nominales, des termes concrets qui soulignent les rares images : la langue se rêve descriptive et épurée pour plus d’efficacité. Jusqu’à la polémique ? Morand demande dans le même recueil : « Pour que tant de choses mauvaises, / qui subsistent, soient détruites / fallait-il briser / tant de bonnes choses qui ne sont plus ? » On peut être pacifiste et peu solidaire des revendications féminines ou de celles d’une CGT bientôt en plein essor. Aujourd’hui, à nouveau, l’union sacrée a fait son temps. Mais le contexte, moins tragique, est différent. Quel drôle de régime que notre démocratie ! Seul le football peut nous sauver de la discorde.
« Il faut ringardiser les conservateurs »
Laurent Berger
Comment définiriez-vous le climat social actuel ?
Si l’on considère la semaine qui vient de s’écouler – nous sommes jeudi –, je parlerais d’hystérie. À la CFDT, nous avions pronostiqué …
[Face-à-face]
Robert Solé
– Tiens ! T’es là, toi ?
– Évidemment. Avec les camarades, nous bloquons la raffinerie. Pas un litre ne sortira d’ici.
– C’est ridicule. Vos drapeaux, vos casquettes, vos saucisses-merguez, et tous ces pneu…
Un moment exceptionnel
Henry Hermand
À l’heure où ces lignes sont écrites, qui peut savoir ce qu’il adviendra lors de leur parution ? Où en seront ces grèves spectaculaires, celles qui bloquent centrales nucléaires et ports, et qui sont de nature à frapper les esprits…