Rêveries sur les hauteurs de Stamboul
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Le quartier bruyant du Taxim, sur la hauteur de Péra, les équipages européens, les toilettes européennes heurtant les équipages et les costumes d’Orient ; une grande chaleur, un grand soleil ; un vent tiède soulevant la poussière et les feuilles jaunies d’août ; l’odeur des myrtes ; le tapage des marchands de fruits, les rues encombrées de raisins et de pastèques... Les premiers moments de mon séjour à Constantinople ont gravé ces images dans mon souvenir.
Je passais des après-midi au bord de cette route du Taxim, assis au vent sous les arbres, étranger à tous. En rêvant de ce temps qui venait de finir, je suivais d’un regard distrait ce défilé cosmopolite ; je songeais beaucoup à elle, étonné de la trouver si bien assise tout au fond de ma pensée.
Je fis dans ce quartier la connaissance du prêtre arménien qui me donna les premières notions de la langue turque. Je n’aimais pas encore ce pays comme je l’ai aimé plus tard ; je l’observais en touriste ; et Stamboul, dont les chrétiens avaient peur, m’était à peu près inconnu.
Pendant trois mois, je demeurai à Péra, songeant aux moyens d’exécuter ce projet impossible, aller habiter avec elle sur l’autre rive de la Corne d’or, vivre de la vie musulmane qui était sa vie, la posséder des jours entiers, comprendre et pénétrer ses pensées, lire au fond de son cœur des choses fraîches et sauvages à peine soupçonnées dans nos nuits de Salonique, – et l’avoir à moi tout entière.
Ma maison était située en un point retiré de Péra, dominant de haut la Corne d’Or et le panorama lointain de la ville turque ; la splendeur de l’été donnait du charme à cette habitation. En travaillant la langue de l’islam devant ma grande fenêtre ouverte, je planais sur le vieux Stamboul baigné de soleil. Tout au fond, dans un bois de cyprès, apparaissait Eyoub, où il eût été doux d’aller avec elle cacher son existence, – point mystérieux et ignoré où notre vie eût trouvé un cadre étrange et charmant.
Autour de ma maison s’étendaient de vastes terrains dominant Stamboul, plantés de cyprès et de tombes, – terrains vagues où j’ai passé plus d’une nuit à errer, poursuivant quelque aven- ture imprudente arménienne, ou grecque.
Tout au fond de mon cœur, j’étais resté fidèle à Aziyadé ; mais les jours passaient et elle ne venait pas... […]
Extrait d’Aziyadé, 1879
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