Quelle importance le gouvernement accorde-t-il au patrimoine archéologique d’Istanbul ?

Istanbul est une métropole de 15 millions d’habitants environ dont la forte croissance économique repose sur les opérations immobilières. Les intérêts économiques et archéologiques s’opposent. La population est sensible à son patrimoine comme en témoignent les protestations de 2013 : les Stambouliotes souhaitent préserver le parc Gezi qui devait disparaître au profit d’un centre commercial. Le gouvernement a toutefois conscience que la sauvegarde du patrimoine est vitale pour le tourisme. Cette situation contradictoire génère beaucoup de tensions. 

Quelles strates historiques cohabitent à Istanbul ? 

Cela va de la préhistoire à la période ottomane. Sur la Corne d’Or, la péninsule historique, dès que vous creusez 50 cm vous tombez sur des vestiges ! Mais il n’y a pas de place pour fouiller car il existe très peu de terrain libre. 

Quelles sont les fouilles les plus importantes à Istanbul ?

Des fouilles de grande ampleur ont été conduites récemment dans le cadre du projet Marmaray, un RER intercontinental qui unit l’Asie et l’Europe et qui passe sous le Bosphore. Outre le vestige du port de Théodose – 37 épaves ont été exhumées – les archéologues ont trouvé, sous les fonds marins de l’époque byzantine, un niveau néolithique avec des tombes, des sépultures, des figurines en bois et des outils en os datant du vie siècle avant Jésus-Christ ! 

Finalement, les impératifs économiques et archéologiques peuvent se rejoindre...

Pour la première fois, des fouilles préventives de cette envergure ont été mises en place dans le cadre d’un grand projet public. Nous espérons que cela donnera l’exemple pour la suite. L’archéologie préventive est une notion assez nouvelle : il s’agit de faire des études préliminaires et d’intégrer la durée des fouilles dans le calendrier général des travaux. Mais le plus souvent, nous travaillons dans le cadre de fouilles d’urgence.

Comment l’archéologie peut-elle survivre dans une ville qui ne cesse de s’étendre ?

Il y a partout des chantiers d’immeubles en construction. Dans la ville historique, vous apercevez des tours entre les minarets des mosquées ! Les structures existantes de l’archéologie urbaine ne sont pas adaptées à ce développement. Toutes les fouilles d’urgence doivent être conduites par des membres du musée archéologique. Or, ils sont en sous-effectif par rapport à une ville de cette superficie ! À Istanbul, l’histoire compte moins que le présent : il faut avancer, construire parfois au mépris du passé. Au début du projet Marmaray, le Premier ministre avait déploré le retard des travaux, ironisant sur ces archéologues qui ne s’intéressaient qu’à des « breloques ». À la fin du chantier, il était très fier de s’associer aux découvertes spectaculaires, annoncées dans tous les médias internationaux.  

Propos recueillis par Elsa Desbaresdes

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