Payer ses courses sans contact avec sa carte de crédit. Gérer ses comptes bancaires chez soi sur son ordinateur. Procéder à un virement à partir de son smartphone. La vie quotidienne confirme jour après jour que la dématérialisation de l’argent est en marche. Insensiblement, nous recourons moins souvent aux pièces et aux billets. Accessoirement, voilà deux ans que la Banque centrale européenne n’imprime plus de billets de 500 euros. Les banques commerciales encouragent ce mouvement et leurs succursales refusent la plupart du temps de « donner » à leurs clients plus de 1 000 euros en liquide. Bref, le recours au cash recule. Les États, soucieux de lutter contre les fraudes, organisent la raréfaction. Dans le collimateur, le travail au noir, l’argent sale des grands et petits trafics.

Cette révolution des usages en cache une autre, bien plus considérable : la contestation du monopole de battre monnaie, encore réservé, pour l’heure, aux puissances étatiques. L’exemple le plus connu de ce vent de fronde est celui de Facebook, désireux de créer une nouvelle devise, le libra, devenu le diem. La tentation de ce géant du Web est d’autant plus grande que la technologie numérique rend l’invention de cette monnaie privée sinon facile, en tout cas à portée de main. L’économiste Jacques Mistral, dans l’entretien qu’il nous a accordé, relève que, si les États laissaient faire, Facebook deviendrait immédiatement l’une des plus fortes puissances financières mondiales.

Rien n’est fait, mais jamais la tension entre monnaies souveraines et monnaies privées n’a été aussi vive. Car ce sont des centaines de cryptomonnaies créées par des particuliers qui ont vu le jour depuis une dizaine d’années. Le bitcoin, la plus célèbre, s’illustre surtout par le phénomène spéculatif qui l’entoure et, ce qui n’est pas négligeable, par la quantité d’électricité astronomique gaspillée pour assurer son existence. Derrière cet exemple, il faut aussi entendre la revendication d’une liberté monétaire inédite. Des monnaies locales, commerciales, ethniques sont ainsi à l’étude, quelques-unes sur le point d’être développées. Le rêve du Prix Nobel d’économie Friedrich Hayek (1899-1992) à portée de main !

Comment réagiront les États ? Chercheront-ils à mettre un terme à ce foisonnement en veillant jalousement à leur capacité magique de créer de l’argent ? Quels sont les contours du nouveau capitalisme digital qui prend ses marques ? Ce sont toutes ces questions que ce numéro du 1 vous propose de découvrir. 

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