Le pictogramme du dollar est mondialement célèbre, reconnaissable universellement, un peu comme la croix chrétienne ou les anneaux olympiques, et le parallèle n’est pas fortuit. C’est un s barré, dont les origines graphiques sont incertaines, mais dont la symbolique est immédiatement évidente : la monnaie des États-Unis et, même, par-delà son rattachement géographique, l’argent en soi, la fortune, la magie du gain. Andy Warhol peint ce symbole en grand format, d’une façon dépouillée, sans fioriture, mais avec un dynamisme qui rend vivants voire sensuels le motif serpentin et la barre qui le traverse. Dans le détail, on remarque par exemple de légers débords de la couleur au-delà du cerne et quelques traits verticaux à l’extérieur qui donnent des gages de spontanéité. Il y a aussi un jeu entre le jaune et les nuances ombreuses qui confèrent un peu de relief. Et puis, ce s semble légèrement charnu, bombé. Il est presque mûr comme on le dirait d’un fruit – et pourquoi pas d’une banane… Warhol n’en a-t-il pas peint une, devenue célèbre, en illustration d’un album du Velvet Undergound de 1967 ? Dans son genre, Dollar Sign n’en est pas très éloigné.

Pour Warhol, il n’y a pas de meilleure manière de dire que l’argent, c’est beau, c’est bon, c’est « pop », c’est « cool », c’est même « cute », c’est un peu « cul », c’est totalement « culte ». Culte, oui, dans le sens où Warhol – lui-même catholique pratiquant, fidèle de l’Église – sait que la société vénère l’argent, est excitée, possédée par l’argent, l’érige en transcendance, tisse une religion grâce à lui, fût-elle païenne, fût-elle celle du capitalisme. À ce titre, il n’y a donc que de bonnes raisons de représenter le dieu dollar. Comment faire autrement de l’idole du XXe siècle ? Ce serait sacrilège de l’occulter.

Y a-t-il une forme d’ironie, de cruauté critique de la part de Warhol face à la société telle qu’elle va ? On voudrait le croire. On pourrait pousser l’exégèse du côté de l’ambiguïté, du goût – sincère – de l’artiste pour le vide. On pourrait développer un argumentaire savant sur sa manière d’affirmer à la fois la présence matérielle des choses et des êtres et leur vacuité consubstantielle. On pourrait sauver Warhol par sa gauche, sans problème. Mais je crois qu’on ferait fausse route. Car, ce qui est génial chez lui, c’est précisément son implacable, son insupportable premier degré. L’artiste ne s’en cache pas : il n’aime rien davantage que l’argent… Pour une de ses fêtes, alors qu’il est déjà richissime, il est enchanté que ses amis lui renversent sur la tête toute une corbeille remplie de billets. À ses yeux la valeur financière et esthétique se confondent. Et s’il voit qu’un peintre coûte plus cher que lui, il en est fou de jalousie…

Dès lors, il est légitime de se poser la question triviale et fascinante : combien ça se vend, un Warhol comme celui-là ? En 2015, dans une enchère chez Sotheby’s une œuvre très similaire (même thème, même année, même dimension) est partie pour 8,5 millions d’euros (sans compter les 20 % de frais). Cela correspond à environ 750 ans de Smic. Dans la dernière décennie, certaines œuvres de l’artiste se sont monnayées dix fois plus haut. Jusqu’au prochain record… 

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