« Ce qu’il nous faut, c’est du repos, dit Harris.

– Du repos et un changement complet, affirma George. L’excès de travail imposé à nos méninges a entraîné chez nous une dépression générale de l’organisme. Le dépaysement et une bonne grève de notre matière grise auront tôt fait de nous remettre d’aplomb. »

George a un cousin qui s’inscrit toujours comme étudiant en médecine sur les fiches d’hôtel, d’où cette manière doctorale d’exposer les choses, qu’il semble avoir héritée de famille.

J’approuvai l’idée de George et suggérai que nous devions chercher un petit coin tranquille, loin de la foule déchaînée, où nous goûterions une semaine radieuse à flâner dans les ruelles paisibles – un trou perdu, protégé par les fées, à l’abri du tumulte du monde, quelque pittoresque nid d’aigle perché sur les falaises du Temps, où l’on n’entendrait plus qu’à peine, dans le lointain, battre les flots houleux de notre XIXe siècle trépidant.

Harris déclara que nous sombrerions vite dans l’ennui. Il connaissait trop ce genre de patelin où l’on ne trouve plus un chat dans les rues passé huit heures du soir, où il est impossible de se procurer, fût-ce à prix d’or ou d’argent, la moindre gazette du turfiste, et où il faut se taper quinze kilomètres ou plus pour bourrer sa pipe de son tabac favori. « Non, dit-il, quand on cherche le repos et le dépaysement, rien de tel qu’une croisière en mer ! » 

Trois hommes dans un bateau, 1889

© Librairie générale française, 1989, pour la traduction de Philippe Rouard

Vous avez aimé ? Partagez-le !