« Nous avons besoin d’une vacance de l’esprit »
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Quel est ce besoin de débrancher que beaucoup cherchent à satisfaire au cours des vacances ?
Les psychologues parlent de lâcher-prise, de laisser-aller, de laisser vivre, mais c’est la même idée que derrière le mot « débrancher ». Pour comprendre ce besoin, il faut partir de la conscience. La conscience a une fonction de contrôle : je choisis mes buts, je planifie, j’évalue l’écart entre ce que j’ai prévu et ce que je suis en train de vivre. Du matin au soir, nous sommes dans cette anticipation et ce contrôle, pour le meilleur et pour le pire. Le lâcher-prise doit s’intégrer dans ce contrôle.
C’est donc de soi-même qu’on doit débrancher plutôt que du monde extérieur ?
Certainement : le monde extérieur reste pareil ! Lâcher prise consisterait à relâcher notre contrôle intérieur, propice aux difficultés mentales et émotionnelles. La plupart des dysfonctionnements viennent de cet excès de contrôle et du manque de lâcher-prise. Beaucoup de personnes sont hyperfocalisées, sur leur travail par exemple. C’est très bien en un sens, mais elles ne prêtent plus attention à ce qui ne concourt pas à ce but : leur corps, leur environnement, leur conjoint... Les vacances sont l’occasion de désengager notre attention de nos centres d’intérêt habituels pour s’ouvrir à ce qui se présente. La méditation de pleine conscience favorise ce lâcher-prise : je m’en sers beaucoup dans ma pratique de psychologue, comme de l’improvisation, qui permet de se laisser aller à sa spontanéité.
Quels mécanismes psychologiques sont à l’œuvre ?
Dans le contrôle, il y a l’idée de ne pas souffrir, ce qui paraît assez sain. Mais nous nous retrouvons emprisonnés face à cette souffrance. Le mieux est d’accepter ce qu’on vit, le plaisir comme le déplaisir. Pour échapper à une tristesse, quelle qu’en soit la cause, certaines personnes vont s’accrocher à leur smartphone, vont regarder des séries à la file, pour ne pas affronter ce sentiment. Or il s’agit d’accepter de ressentir ses émotions, positives comme négatives.
Est-ce que le moment des vacances est un cas particulier ?
Chacun fait ce qu’il veut de ses congés payés, mais c’est sans doute l’occasion d’une « vacance de l’esprit ». Les tracas habituels sont écartés, on ne passe pas son temps à faire des choix, on est davantage pris en charge et en tout cas plus disponible pour accueillir le moment présent. Débrancher en vacances, ce serait surfer sur la vague de ses émotions, quelles qu’elles soient. Et s’il n’y a pas de vague, il nous reste à apprécier ce doux repos. Les vacances sont un moment favorable pour lâcher prise.
Avez-vous vu monter chez vos patients ce désir de débrancher ?
La plupart de nos patients viennent nous voir parce qu’ils ont un problème de ce type. S’ils en sont conscients, cela nous fait gagner du temps. Mais certains sont tellement dans le stress, dans la recherche de performance, qu’ils n’ont même pas conscience qu’ils devraient lâcher prise. Ils ne l’envisagent pas parce que c’est potentiellement dangereux, cela conduit à se confronter à la réalité. C’est plus facile de travailler sans cesse, de s’agiter. Les drogues, l’alcool ou d’ailleurs toutes les addictions – au smartphone, aux jeux vidéo, au sport, au sexe – sont une façon artificielle de lâcher prise.
À part les drogues illégales, vous citez des plaisirs qui peuvent être innocents !
Tout dépend du rapport qu’on entretient avec l’activité en question. Si je suis passionné par mon travail, il est pour moi un plaisir, mais un plaisir librement consenti dont je peux décrocher le temps des vacances. Si je suis un workaholic, un travailleur compulsif, je me sentirai mal si je ne travaille pas. Le vin est un plaisir à déguster, à partager, mais si je ne peux plus m’en passer c’est autre chose, ce n’est plus un plaisir choisi. La difficulté qu’ont les personnes qui recherchent un lâcher prise artificiel dans différentes addictions, c’est qu’elles sont incapables de faire autrement. Faire du sport, c’est très bien, mais quelqu’un qui rentre chaque soir stressé et doit impérativement courir ou s’entraîner en salle pour supporter son stress, peut-être vaut-il mieux qu’il apprenne à le ressentir. L’émotion qu’on cherche à fuir dans une hyperactivité, si on s’autorise à la ressentir, elle va naturellement baisser au bout d’un moment. Et après, on peut aller faire du sport mais de façon sereine, choisie. Lâcher prise, au fond, c’est passer du faire à l’être.
Propos recueillis par SOPHIE GHERARDI
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