Arrête-toi. Au lieu de haleter de seconde en seconde
Comme un torrent de roc en roc dévalant sans vertu,
Respire
Plus lentement et sans bouger, les pieds croisés, les mains jointes,
Regarde, comme si c’était le monde tout entier,
Un objet, menu et domestique, par exemple
Cette tasse.
Néglige sa courbure, ce bord ondulé, ces dessins bleus.
Ne considère que l’intérieur, cette cavité blanche, cette surface
Lisse.
L’eau n’est lisse ainsi que les soirs de grand calme
Après une journée qui rassemble et retient son bonheur
Au centre du silence où s’arrête son
Souffle.

Peux-tu nommer un jour, une heure, sans reflets d’hier,
Sans impatience de demain, où ton âme fut ainsi
Lisse ?
N’écoute pas ton cœur, ne compte pas ton pouls, ne songe pas
Au temps qui vers la mort te traverse, mais seulement
En arrêtant ton souffle regarde cette pure et seule qualité
De lisse.
Si maintenant tu apprenais à fixer ton regard, ta pensée,
Ton âme sans ciller sur quelques centimètres carrés de
Lisse,
Peut-être alors, sans fuir le monde, sans éviter les femmes,
Sans changer d’état, de pays, de nourriture,
Pourrais-tu espérer un jour commencer à comprendre
Le monde entier.

Extrait du recueil Jonas
© Éditions Gallimard, 1962 (posthume)

Poème proposé par LOUIS CHEVAILLIER 

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