Le récent bannissement de Trump de Twitter serait-il le symbole de la chute démocratique dans laquelle nous entraîneraient les réseaux sociaux ? La réalité est bien plus complexe. Sans revenir sur la décision de Twitter, on admettra que nul n’est au-dessus des conditions générales d’utilisation, pas même le président américain. Quoi de plus démocratique ? Par leur immersion envahissante dans nos vies, par leurs chiffres d’affaires se rapprochant d’un budget étatique, par la diminution du libre arbitre qu’ils induisent, ou encore par leur développement disproportionné qui nuit à la concurrence et à l’innovation et empêche tout nouvel acteur de grandir à leurs côtés, les Gafam peuvent bien sûr mettre en danger la vie démocratique. Encore faut-il nuancer.

La démocratie s’appuie notamment sur la capacité de chacun à agir et à exprimer son opinion de manière libre et éclairée. En cela, les réseaux sociaux sont en théorie l’outil démocratique idéal. Mais c’est oublier les intérêts économiques de leurs propriétaires et la question de leur dimensionnement, et donc des algorithmes sur lesquels leur fonctionnement repose.

Les algorithmes qu’on retrouve dans les outils des Gafam sont des algorithmes de captation – qui attirent notre attention afin de nous faire rester plus longtemps sur la plateforme –, de même que des algorithmes de suggestion de contenus – pour nous faire consommer toujours davantage. Si on ajoute la puissance économique, et donc politique, de ces acteurs, on comprend que nous assistons à un combat de géants entourés d’aveugles, dont les dirigeants politiques font malheureusement partie. Le sujet est aussi là : l’incapacité des dirigeants et des utilisateurs à comprendre la vocation de ces outils, et les desseins de leurs créateurs.

En outre, les réseaux sociaux ne sont parfois que l’arme d’un crime organisé comme la propagation de fake news. Dans un paradoxe qu’entretient la possibilité de préserver son anonymat, ils sont le lieu des condamnations sans procès, mais également celui de la libération de la parole – des individus et des peuples à travers le monde. De son côté, une plateforme comme Amazon n’enferme pas seulement les usagers dans des suggestions qui les poussent à consommer inutilement. Elle élargit son influence à travers de nouveaux marchés – la presse, par exemple, avec le développement d’Arc Publishing par Jeff Bezos et ses équipes – mais livre aussi tous les produits possibles dans les endroits les plus reculés, tout en faisant vivre un grand nombre de fabricants.

Les solutions à apporter ? Il faudrait modifier les algorithmes de captation et de suggestion, éliminer les « likes » et les partages pour freiner la dynamique néfaste des interactions alimentées par les algorithmes ou encore impliquer de façon collaborative les utilisateurs dans la modération, à l’instar de ce qui se fait sur les pages de Wikipédia. Ce sont quelques exemples à explorer. Ils supposeraient que les acteurs réinventent leur modèle économique, fondé (uniquement) sur la consommation massive des utilisateurs.

Enfin, dans un système antidémocratique, anarchique, voire dictatorial, l’oiseau bleu et ses amis pourraient être systématiquement jugés coupables de tous les maux, sociaux et économiques, et fustigés auprès des opinions publiques comme la source des mauvaises nouvelles, vraies ou fausses. Le risque ultime serait alors pour ces acteurs d’être contrôlés par un gouvernement despotique, effaçant par la même occasion leur raison d’exister : connecter ouvertement les individus à travers le monde et permettre de partager et de consommer librement du contenu. Ce serait leur fin assurée. C’est finalement une bonne nouvelle : sans démocratie, pas de Gafam ! 

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