Pourquoi a-t-on eu foi dans ce que vous appelez la démocratie directe des réseaux sociaux ?

En 2010, grâce à ces plateformes, le Web devenait accessible à tous. Puis on a assisté aux premiers usages démocratiques des réseaux sociaux avec les Printemps arabes. On s’est dit que la technologie nuisait aux dictatures car l’information pouvait circuler sans censure. On était aussi dans un paradigme général de positivisme par rapport à la technologie, qu’on vivait comme émancipatrice par essence. C’était aussi le discours des Gafam. Longtemps, le slogan de Google fut « Don’t be evil » : « Ne soyez pas malveillants ». Dans une vision très utopiste, ils se présentaient comme de bons géants sympathiques qui allaient nous aider, même s’ils gagnaient beaucoup d’argent. On n’avait qu’une envie, c’était de travailler pour eux ! C’était une première arnaque des Gafam. Ils ont oublié de dire à ce moment-là ce dont on s’aperçoit aujourd’hui : sur Internet, depuis l’apparition des premiers forums où les gens pouvaient discuter entre eux, la problématique de la modération a toujours été présente. Mais les réseaux sociaux n’ont jamais voulu mettre les mains dedans. Leur position est de dire : nous ne sommes qu’un tuyau, nous sommes pour la liberté d’expression absolue, toute modération est une censure, allez-y, exprimez-vous ! Ce qu’on a pu vivre comme une libération du discours sur un libre marché des idées, on s’aperçoit dix ans après que c’était une grosse erreur de départ. Ou plutôt un choix de business délibéré…

Ce secteur est-il inspiré par l’idéologie libertarienne, qui rejette toute idée de contrôle ?

Je vois une différence d’approche entre Facebook et Twitter. Facebook s’est voulu le réseau des familles. Il a censuré automatiquement tout contenu « adulte », toute nudité, ce que Twitter n’a pas fait. Le choix de l’oiseau bleu était certes mâtiné d’idéologie libertarienne. C’était aussi un bon moyen d’économiser de l’argent sur la modération et d’évacuer ce problème. Si Facebook voulait modérer manuellement les contenus postés sur ses plateformes dans le monde, il lui faudrait 300 000 ou 400 000 modérateurs… Le modèle économique n’y résisterait pas. Facebook pourrait peut-être se le permettre maintenant, mais pas Twitter, avec son esprit de petite start-up californienne et ses faibles effectifs.

Comment a-t-on réalisé que Twitter pouvait être dangereux pour la démocratie ?

Dans la période du tout premier Twitter, entre 2009 et 2011, c’était un réseau sympa entre jeunes geeks, même s’il y avait pourtant déjà des symptômes inquiétants avec les premiers harcèlements.

La présidentielle de 2012 a constitué une deuxième étape. Les militants se rejoignent sur Twitter, et aussi les politiques qui s’en servent pour diffuser des messages de façon plus efficace que par les communiqués de presse habituels, souvent peu repris. De plus en plus de gens influents viennent sur ce réseau et l’utilisent pour communiquer. Le réseau prend une importance considérable et même disproportionnée par rapport à sa taille. Problème : les journalistes sont tous sur Twitter et très peu sur Facebook. On est dans un entre-soi, tout en pensant que Twitter est une petite France. Or non, c’est just

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