« Les grands faits divers ont souvent une dimension politique »
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Qu’est-ce qu’un fait divers ?
Au XIXe siècle, la presse populaire de masse a amalgamé sous l’appellation « faits divers » tout ce qui ne rentrait pas dans les rubriques classiques de l’actualité, qu’il s’agisse de crimes et de délits, de catastrophes ou même de nouvelles cocasses ou inattendues.
Ces faits divers présentent-ils des caractéristiques communes ?
Il n’est pas facile de les catégoriser, mais on peut retenir ce qu’en disait Roland Barthes dans ses Essais critiques : pour lui, le fait divers casse les causalités habituelles des faits ordinaires, il manifeste des « troubles dans la causalité », des hiatus qui perturbent notre compréhension avec une disproportion entre la cause et les effets.
C’est-à-dire ?
Citons un exemple : en 1988, à Tours, une femme, Sylvie Reviriego, empoisonne puis noie sa meilleure amie, la vide de son sang, la démembre et cuit les restes de son crâne. La meurtrière invoqua de banales difficultés relationnelles avec cette amie ; les experts expliquèrent que la prise d’un coupe-faim avait pu créer un état de délire. On était typiquement face à ce décalage entre des causes ordinaires et un effet « hors norme ». L’affaire criminelle permet de poser la question du mystère du passage à l’acte, ce momentum inexplicable.
Pourquoi faites-vous une différence entre les faits divers et les affaires criminelles suscitant une très grande attention ?
De nombreux faits divers font très peu parler d’eux, ils sont emportés dans le flux de l’actualité mais certaines affaires deviennent des faits sociaux, culturels, voire politiques, qui s’incorporent à notre histoire. On peut s’y référer, en discuter indéfiniment. Les grandes affaires criminelles sont des marqueurs du temps, elles ont leur place dans notre imaginaire collectif.
Qu’est-ce qui permet d’expliquer ce passage à l’affaire criminelle ?
Il n’y a pas de critères objectifs. En fait, c’est le réel qui décide de ce changement de st
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