Serait-ce le symptôme d’une époque déçue par les grandes aventures collectives, d’un siècle hanté par la perspective de machines toutes-puissantes, d’une société assiégée par les doutes et les craintes ? Le fait divers a le vent en poupe : émissions de télé et de radio, romans et documents, podcasts, docufictions… C’est le retour de l’individu raconté dans sa vulnérabilité. Tragédies et affaires criminelles occupent une grande place dans notre conversation publique – souvenons-nous du meurtre de la jeune Lola ou du grave accident causé par Pierre Palmade. Nous avons voulu comprendre, dans ce numéro du 1, ce qui fonde cette obsession.

Nos mythologies sont pleines de ces violences intrafamiliales, expressions de la pulsion de mort consubstantielle à l’existence.

Certes, la chose n’est pas nouvelle : un premier-né (Caïn) qui assassine son cadet (Abel) ; un fils (Œdipe) qui tue son père (Laïos)… Nos mythologies sont pleines de ces violences intrafamiliales, expressions de la pulsion de mort consubstantielle à l’existence. La plupart du temps, elle reste tapie dans l’ombre, contenue par le barrage des interdits ; parfois, elle fait voler toutes les digues. Ces transgressions ont inspiré les plus grands artistes ; ils y trouvent de quoi nourrir leur questionnement sur le mystère de la condition humaine.

Dans le grand entretien qu’ils nous ont accordé, le magistrat Emmanuel Roux et le philosophe Mathias Roux s’interrogent sur le pouvoir d’attraction hors du commun du crime. À l’inverse du sociologue Pierre Bourdieu qui considérait que le fait divers fait diversion, ils soulignent que les grandes affaires criminelles ont une forte dimension politique et sociétale. L’historienne Claire Sécail rappelle comment les faits divers, à la base du succès des grands journaux populaires, ont été longtemps censurés par la télévision d’État. Ils nourrissent aujourd’hui le quotidien des chaînes d’info en continu et engendrent un phénomène inquiétant de partage d’images violentes issues des téléphones portables et des caméras de surveillance.

Le fait divers peut être aussi l’occasion de dépeindre une France qui saigne en silence.

Traditionnellement, l’émotion suscitée par certains crimes a été utilisée pour réclamer des politiques répressives. Mais le fait divers peut être aussi l’occasion de dépeindre une France qui saigne en silence. Dans son livre, Sambre, la journaliste Alice Géraud a sorti de l’ombre des dizaines de proies d’un violeur en série que la police avait ignorées pendant trente ans. Elle nous explique en quoi une « lecture féministe du fait divers » l’a conduite à s’intéresser « davantage aux victimes qu’aux auteurs ». Un point de vue proche de celui d’Élise Costa, qui nous raconte comment elle a été happée par la chronique judiciaire : « Tant qu’il y aura des questions sans réponse, je suivrai des procès. » 

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