Il aura fallu du temps, mais cette fois la dynamique est là. Notre société mondialisée semble retrouver le goût du local, comme on revient sur terre après un long voyage. Le manger naturel n’est pas tombé tout cuit dans nos assiettes au contenu parfois suspect, voire inquiétant. C’est à coups de crises agricoles et sanitaires que la prise de conscience s’est imposée : nos aliments ne sont pas, tant s’en faut, nos médicaments. Les consommateurs qui sont aussi des citoyens ont fini par comprendre les mécanismes qui ont débouché sur un désastre social. En un demi-siècle, sacrifiées sur l’autel de la modernité, de la chimie et de la motorisation intensives, les campagnes se sont vidées de leurs paysans. Les rescapés de cette hémorragie sont devenus des agriculteurs puis des agri-managers passés « de la ferme à la firme », selon l’expression du sociologue François Purseigle. Une activité où le capitalisme agricole, marqué par l’endettement, la course à la terre et à la productivité, a engendré une inexorable concentration, doublée d’une standardisation des productions. 

Face à la force de frappe de la grande distribution qui a brandi des décennies durant l’argument massue des prix bas, voire écrasés – écrasant aussi, au passage, les producteurs –, la tentation du local a longtemps été muselée. Il fallait ménager le panier de la ménagère. On allait chercher en Espagne de la tomate au goût de carton mais tellement bon marché ; au Burkina Faso des haricots verts extra-fins défiant toute concurrence. Et quand les hypermarchés fêtaient qui le cochon, qui le bœuf, qui le lait, ils cassaient tellement les tarifs qu’on se disait bien qu’au bout de la chaîne des paysans crevaient de faim. 

Mais de vaches folles en fièvres de cheval, de crises porcines en déroutes laitières, de scènes insoutenables d’abattages en propagations d’herbicides, pesticides et autres substances cancérigènes, le local a retrouvé le moral. On peut manger mieux sans se ruiner, en permettant à des exploitants agricoles de « vivre et travailler au pays », comme disait le slogan syndical des années 1970. Protéger sa santé en protégeant ceux qui nous nourrissent, l’histoire est belle et stimulante. Le lien social se resserre. Rats des champs et rats des villes se parlent, s’écoutent, se questionnent. Il serait pourtant illusoire de croire que la panacée est dans cette seule proximité. La grande distribution n’a pas dit son dernier mot, qui voit dans cet engouement un nouveau moyen de restaurer ses marges en montrant patte blanche. Et le modèle agricole dominant reste dopé au gigantisme qui ne fait guère dans le détail. 

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