C’est vous le patron
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Pendant des années, Élise a guetté les prix cassés, les promotions et les marques discount qui lui proposaient les produits les moins chers. Aujourd’hui, cette infirmière et jeune maman de 26 ans s’est aperçue que cette course aux prix bas ne la menait nulle part. « J’ai dans mon entourage très proche des agriculteurs, et j’ai malheureusement pu me rendre compte de ce que c’est que travailler 70 heures par semaine, voire plus, ne pas partir en vacances pendant plusieurs années, ne pas réussir à se faire remplacer sur l’exploitation, et tout ça pour ne rien gagner. C’est complètement aberrant ! Ça a été pour moi une prise de conscience : c’est en tant que consommateurs que nous pouvons faire avancer les choses. Je ne veux plus du moins cher. Je préfère gérer mon budget autrement mais avoir de la qualité dans mon assiette. »
Depuis plusieurs mois, Élise a adopté le lait, la compote et le jus de pomme de la marque C’est qui le patron ?!, lancée en octobre 2016. Une nouvelle venue qui obéit à une logique simple : proposer des produits correspondant aux désirs des consommateurs tout en préservant les marges des producteurs. Concrètement, la marque développe, sur son site Internet, un cahier des charges avec les producteurs pour mesurer le coût véritable de chaque produit. Pour une barquette de fraises de 500 grammes, par exemple, le premier prix proposé est de 1,20 euros – à ce tarif-là, les fraises sont produites de façon intensive en Espagne ou au Maroc, gavées d’intrants chimiques et sans garanties gustatives. Mais le « consom’acteur », qui vote en ligne, peut aussi jouer sur différents critères et opter pour des fraises produites en France, selon une agriculture « de terroir », en accord avec la saison, tout en permettant au producteur de se payer « convenablement ». Le tarif alors grimpe à 5,19 euros, un peu au-delà de ceux pratiqués aujourd’hui sur le marché. « On verra ce qui ressortira des votes, mais la règle du jeu, c’est la confiance dans le consommateur, explique Nicolas Chabanne, créateur de la marque. Notre expérience, c’est que la qualité découle de l’équité. Lorsque nous avons lancé le beurre bio il y a quelques mois, nous avons proposé d’inclure dans le prix une aide pour la conversion des éleveurs à l’agriculture biologique. Nous nous attendions à ce que les consommateurs proposent un ou deux centimes de plus. Ils ont voté pour 15 centimes ! On nous a dit qu’il y avait un décalage entre ce que les consommateurs veulent et ce qu’ils achètent, et qu’on n’écoulerait pas ces produits. En fin de compte, on a déjà vendu un million et demi de plaquettes de beurre en quatre mois ! »
Avec son bagou et son accent du Sud, Nicolas Chabanne ne déparerait pas sur un marché provençal. Les fruits et légumes, il connaît bien et n’en est pas à son coup d’essai en matière de distribution alternative : en 2009, cet ancien chargé de com’ avait lancé Le Petit Producteur, une marque valorisant le travail des producteurs en affichant leur photo sur l’emballage ; quatre ans plus tard, il récidive avec Les Gueules cassées, un label pour lutter contre le gaspillage alimentaire des fruits et légumes non standards. Des « initiatives de bon sens », selon lui, qui tentent de renouer le lien entre le champ et l’assiette. Mais l’homme a trop d’idées pour se reposer sur ces premiers succès. À l’été 2016, en pleine crise du lait, il convainc Carrefour de lancer une « marque du consommateur », moderne et transparente. « Les éleveurs laitiers me disaient qu’il leur manquait 8 centimes du litre pour bien vivre. À l’échelle nationale, cela représente 4 euros de plus par an et par habitant. Ça ne me paraissait pas impossible. »
Vendue 99 centimes le litre – dont 39 reversés aux éleveurs –, largement soutenue par les réseaux sociaux, sa désormais célèbre petite brique bleue s’est vendue à 26 millions d’unités en un an et demi, et est désormais proposée dans 90 % des grandes surfaces françaises. « Il était indispensable de passer par là pour écouler de si grands stocks, explique Nicolas Chabanne. Nous ne demandons pas aux grandes surfaces de rogner sur leurs marges, ce serait le meilleur moyen de faire sortir le produit du rayon. Pour que cette marque existe et soit durable, il faut que la marge de chaque acteur soit respectée et respectable. » La Marque du consommateur prélève elle-même une commission de 5 % sur chaque produit vendu.
Avec un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros depuis son lancement – « sans commerciaux, ni publicité à la télévision » –, C’est qui le patron ?! pourrait bientôt faire des petits : lancée en Belgique il y a quelques semaines, la marque intéresse déjà quatorze autres pays à travers le monde. Surtout, la gamme devrait continuer à s’étendre rapidement au cours des prochains mois : le sachet de pâtes arrive en rayon le 15 mars, en attendant les œufs, le fromage blanc, le chocolat ou le vin. Ce sera ensuite au tour des plats préparés – une pizza trois fromages joue déjà les éclaireurs dans ce domaine. Avant de s’orienter vers des produits non alimentaires ? « À terme, ce serait logique. Notre ambition n’est pas de créer une petite marque sympathique, assume Nicolas Chabanne, mais de proposer une grande marque de consommateurs qui puisse changer durablement les choses, dans tous les secteurs où on peut jouer sur la rémunération des producteurs. »
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