Il est écrit : « l’homme ne vivra pas seulement de pain » et l’homme, en effet, étale sur ses tartines des rillettes d’oie, de langue de veau, de cuisse de chapon, à moins que ce ne soit de la terrine de lapin, de la mousse de foie de canard, des rillons, des grillons, des grattons, des frittons ou des chichons. Puis, son appétit ouvert, il mord dans quelques tranches de saucisse sèche finement découpées, s’attable devant un jambon en croûte, ou un boudin aux deux pommes ou une andouillette à la poêle, au four, grillée, en papillote ou à la ficelle. (J’ai connu et fréquenté à Paris, passage de la Bonne-Graine, un restaurant qui avait à son menu sept variétés d’andouillette différentes : de Troyes, de Jargeau, de Cambrai, de Lyon, de Rouen, à la provençale, de l’Argoat.) Pressé un jour d’expliquer à des habitants d’Atlanta (Géorgie) quel était ce mets dont l’anglais n’offre pas de traduction, je soutins qu’il s’agissait tout simplement d’une preuve de l’existence de Dieu.

Il devient de plus en plus difficile de réunir ces preuves. Dans la capitale, le plus réputé des marchands de boudin a cédé la place à un vendeur de bijoux fantaisie que les touristes s’arrachent. Le plus estimé débit de francforts, de jarret, de montbéliards et de palette s’est mué en épicerie coréenne. L’impératif social catégorique de la minceur est venu à bout d’autres échoppes où pendaient les trésors de la salaison…

Chaque troisième dimanche de novembre, sans interruption depuis 1808, en l’église Saint-Eustache, dans l’ancien quartier des Halles, on célèbre la messe du souvenir des charcutiers. La confrérie de Saint-Antoine s’y rassemble pour honorer la mémoire de ses membres décédés dans l’année, avant d’offrir aux fidèles un savoureux buffet dressé dans l’abside et arrosé de vin nouveau. Il y a fort à craindre que ce pieux rassemblement ne serve bientôt plus qu’à pleurer la disparition de leur art, celui des anciens chaircuitiers, dont la profession fut si opulente qu’elle fit ériger un immeuble entier, rue Bachaumont, à quelques pas des regrettés pavillons de Baltard. L’entrée en est ornée de somptueuses plaques de marbre gravées à l’or fin encadrant un majestueux escalier de chêne à double volée surmonté d’un vitrail à la gloire de l’aimable métier de ceux qui firent bâtir ce temple. On ne visite pas : l’endroit a été vendu à une agence de graphisme : O tempora, o mores, sic transit gloria porci.

Toutefois, une lueur d’espoir brille dans ces ténèbres. La locavoracité ne se limitant pas aux légumes, on voit de plus en plus d’éleveurs offrir des produits de leur façon. Ventrèche, saucisses, fricandeaux, jambonneaux, coppa, pâté de tête : bien des paysans ont su trouver les moyens de valoriser leurs troupeaux de cochons en transformant eux-mêmes leurs bêtes. Le surcoût dû à l’expédition est raisonnable pour peu que la commande soit de conséquence, et, compte tenu des prix pratiqués sur les lieux de production, on peut considérer que l’amateur paierait plus cher les mêmes produits achetés dans une charcuterie en ville, à  condition qu’il en trouve une qui ne se soit pas transformée en fournisseur de sandwiches pour hipsters. Hélas, la multiplication des normes menace sournoisement ces producteurs locaux qui voient le glyphosate autorisé tandis que le poids de sel entrant dans leurs préparations fait l’objet de contrôles tatillons. Allez prouver l’existence de Dieu avec du jambon sous cellophane. 

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