Quelles pensées j’ai de toi ce soir, Walt Whitman, car j’ai descendu les petites rues sous les arbres avec un mal de tête et conscient de moi en regardant la pleine lune.
     Dans ma fatigue affamée, et faisant emplettes d’images, je suis entré au supermarché fruits-néon, rêvant de tes énumérations !
     Quelles pêches et quelles pénombres ! Des familles entières faisant leurs courses la nuit ! Des rayons pleins de maris ! Des épouses dans les avocats, des bébés dans les tomates ! – et toi, Garcia Lorca, que faisais-tu près des pastèques ?

     Je t’ai vu, Walt Whitman, sans enfant, vieux bouffeur solitaire fouinant parmi les viandes dans le congélateur et zieutant les garçons épiciers.
     Je t’ai entendu questionner chacun d’eux : Qui a tué les côtes de porc ? À quel prix les bananes ? Es-tu mon Ange ?
     Je suis entré et sorti des piles brillantes de boîtes de conserve te suivant, et suivi en mon imagination par le détective du magasin.
     Nous avons arpenté les travées ouvertes unis dans notre fantaisie solitaire goûtant aux artichauts, possédant tous les mets surgelés, sans jamais passer à la caisse.

Au XIXe siècle, le poète américain Walt Whitman célébrait les beautés de la nature et de l’industrie, sans comprendre qu’elles pourraient être contradictoires. Pour son héritier, Allen Ginsberg, les supermarchés ne sont que les temples factices de la consommation. Quand tout est sacré : notre corps et les aliments qu’on ingère.

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