C’est le temps de la solitude, l’immense solitude
Qui m’a pris par la main et m’a sommé de ne plus bouger
Elle est froide et sourde
Elle prend toute la place
En avalant le temps, elle s’est tassée
Et moi, je ne peux même pas ouvrir les fenêtres
Pour qu’elle s’en aille
Elle est là
Terriblement là
J’ai peur qu’elle me dissolve dans sa blancheur opaque
Ce n’est plus une solitude mais un isolement
Confiné dans ma maison, ma prison
Éloigné des miens
Je suis assigné à résidence comme dans une dictature
Je tends les bras pour repousser les murs qui se rapprochent
Je sors la tête de l’eau pour chercher leurs visages
Je crie leurs noms pour qu’ils me reviennent
Je maudis le Covid-19 qui en a ainsi décidé
J’apprends que les amours par temps viral sont mises sous terre
Sous verre dans la grande banlieue du songe
Il va falloir attendre une saison plus charitable
Car l’oubli tourne autour des souvenirs
C’est une roulette qui se moque des roses et du rire
Condamné à l’exil et au silence
Mes nuits sont hachurées comme une peau blessée
Où chaque cicatrice raconte une histoire
Où tout m’est étranger
Mais la vie fait des fissures dans l’isolement
Un peu de lumière est là.

Avril 2020

L’œuvre de Tahar Ben Jelloun commence par un cri de colère : un poème, L’Aube des dalles, écrit dans un camp disciplinaire marocain, pendant dix-huit mois d’incarcération déguisée. Devenu docteur en psychiatrie sociale, il est confronté dans la France des années 1970 à la solitude des travailleurs immigrés. Il nous offre aujourd’hui des vers inédits sur le confinement. 

 

 

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