Mon amie berlinoise éclate de rire quand je lui demande son témoignage sur le « modèle » allemand dans la lutte contre le coronavirus. Elle me parle des parcs bondés dans la capitale allemande et de Mme Merkel qui a failli être infectée chez son propre médecin traitant, testé positif au Covid-19. La chancelière a dû observer d’ailleurs, comme tout un chacun, une stricte quarantaine de quinze jours. chez elle.

 

Cet épisode constitue une clé d’explication du système allemand. Le gouvernement n’est pas perçu comme une instance éloignée du quotidien des citoyens. La formule adoptée dès le premier cas en Bavière, le 28 janvier « détecter, tracer, isoler », vaut aussi pour la chancelière. Le débat sur les meilleures façons d’agir est toujours vif, mais la confiance dans les responsables politiques prédomine. D’ailleurs, le parti d’extrême droite « antisystème » AfD est au plus bas dans les sondages depuis le début de la pandémie. Il n’y a pas de « sécession des élites », et le gouvernement fédéral est considéré comme l’un des acteurs d’un système privilégiant la libre initiative et la responsabilisation individuelle. Le paternalisme politique (en l’occurrence, le maternalisme avec « Mutti » Merkel) ne fait pas recette dans un pays où le pouvoir central doit partager ses compétences avec seize Länder.

Berlin, Brême ou la Bavière, de taille et de puissance économique très différentes, sont dotés de leur propre budget santé. Chaque gouvernement régional veille à ce que les hôpitaux et cliniques privées répondent bien aux besoins de la population. L’Allemagne dispose en moyenne de 8,2 lits pour 1 000 habitants. Les soignants exercent sous un régime de droit privé et travaillent 40 heures par semaine. Le nombre de lits de soins intensifs disponibles (28 000 hors crise) est le résultat de cette politique au plus près des citoyens dans une société vieillissante. Mais on peut noter que ce grand parc hospitalier, constitué d’une abondance de petites unités au niveau local, suscitait avant l’épidémie la colère des libéraux. Ces derniers parlaient volontiers de gaspillage de fonds publics. Ajoutons que le poids de la technostructure est en Allemagne relativement limité : 24,3 % des personnels hospitaliers doivent assumer des missions administratives. D’après l’OCDE, la part du PIB consacrée à la santé est de 11,25 %. Pour éviter une disparité et une inégalité géographiques trop grandes, le fameux « Länderfinanzausgleich » fait jouer la solidarité et oblige les régions riches à payer pour les plus pauvres.

Sur le plan institutionnel, le fédéralisme adopté en 1949 – pour éviter tout retour à une forme quelconque de dictature – permet aujourd’hui aux régions de réagir de façon différenciée. C’était déjà un atout pendant le confinement, ça l’est encore pour la phase de sortie. La Bavière, plus touchée par le virus, a opté pour un régime d’ouverture des commerces et des écoles plus prudent que celui de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, par exemple. La chancelière s’est juste assurée lors des réunions avec les responsables des Länder qu’un cadre général soit respecté par tous.

Le grand nombre de tests disponibles ne découle pas d’une décision clairvoyante du gouvernement. Il est le résultat du travail de recherche précurseur mené par l’équipe du Dr Christian Drosten à la Charité de Berlin, qui avait identifié en 2003 le coronavirus SARS-CoV et développé le premier test. Lorsque la Chine a publié la séquence génomique du nouveau coronavirus SARS-CoV-2, début janvier 2020, Drosten a tout de suite développé un test dont la formule a été gratuitement mise à disposition. Des laboratoires privés à Berlin, à Hambourg et dans le sud de l’Allemagne se sont alors immédiatement lancés dans la production massive de kits de test sans savoir si la demande serait au rendez-vous. Quand le pays a été touché par les premiers cas de Covid-19, fin janvier, il disposait donc déjà d’une grande réserve mobilisable dans les laboratoires privés.

L’Allemagne est aussi très bien équipée en automates (une centaine) pour lire ses tests. Cela s’explique par le grand nombre de laboratoires agréés, souvent de gestion privée. Grâce à cette infrastructure, une montée en puissance des capacités de test a été observée. La fédération des dix-sept caisses d’assurance maladie (KBV) refuse pour l’instant de financer les tests de dépistage. Le ministre de la Santé leur a bien fermement demandé de prendre en charge les frais, mais l’AOK (l’une des principales caisses d’assurance maladie) argue que c’est la mission des Länder.

L’Institut Robert-Koch estime que la capacité de production hebdomadaire de tests s’élève actuellement à 800 000. Mais, de fait, les statistiques ne comptabilisent « que » 350 000 résultats (négatifs comme positifs). C’est un des inconvénients du fédéralisme : il n’existe pas d’institution qui centralise d’office le nombre de tests réalisés, et l’Institut Robert-Koch dépend du signalement volontaire des laboratoires. Le ministre affiche, lui, la volonté d’atteindre l’objectif de 4,5 millions de tests par semaine.

Dans ce contexte, le débat sur l’introduction d’une application mobile pour tracer les possibles chaînes de contamination s’avérera décisif. La majorité des Allemands est très sensible aux questions liées à la protection des données, et le débat s’annonce épineux. Le souvenir du régime de surveillance dans l’ancienne RDA a fortement marqué les esprits. Angela Merkel est bien placée pour comprendre ces craintes. Cependant, le taux d’infection est reparti à la hausse, poussant la chancelière à faire appel à la responsabilité de chacun : « Nous ne vivons pas la fin de la pandémie. Nous sommes à peine au début. » 

 

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