Quand émerge ce que vous appelez la « civilisation de la légèreté » ?

La légèreté est une aspiration très ancienne – le philosophe Gaston Bachelard parle de l’« instinct de légèreté » comme de l’un des plus profonds de l’homme. Dès les sagesses anciennes, on voit ainsi apparaître un souci pour la question de la légèreté, et la recherche d’une échappée face aux malheurs de l’existence. Mais, à bien des égards, il faut attendre le XVIIIe siècle et le début de la modernité pour que se forme un véritable projet de légèreté. Les philosophes de l’Aufklärung, le siècle des Lumières allemand, affirment alors que le bonheur doit se poursuivre dès cette vie, et que ce bonheur a partie liée avec la légèreté, avec l’allégement du poids de nos existences. À partir de là, le XIXsiècle, marqué par l’industrialisation, s’accompagne d’une certaine conquête de la légèreté, qui s’accélère au siècle suivant, où ce projet devient quasiment institutionnel, inscrit dans le génome des sociétés modernes. Et cela passe évidemment par l’avènement de la société de consommation, dont le but est de libérer du besoin et de la pesanteur en allégeant les tâches de la vie quotidienne, en proposant des prothèses de confort, en dispensant en continu des réjouissances et des divertissements. Elle se pose comme une utopie concrète, une Arcadie au présent qui fait de l’accès à la légèreté à la fois un idéal et un impératif social.

Quel rôle jouent les transformations technologiques dans ce processus ?

Pendant longtemps, l’industrialisation a marqué la conquête du « lourd ». C’est le temps des usines, du chemin de fer, des barrages et des ponts. Mais la civilisation de la légèreté est marquée, elle, par un virage technologique vers la miniaturisation, la numérisation, l’intelligence artificielle et la dématérialisation. C’est le moment de l’atome, de l’électron. Après être parti à la conquête de l’infiniment grand, le monde moderne s’est lancé vers celle de l’infiniment petit, à tel point que les nanotechnologies sont maintenant cruciales dans notre quête de souveraineté stratégique. Après-guerre, les pays les plus puissants étaient ceux qui contrôlaient le « lourd » ; désormais, ce sont ceux qui savent dominer l’infiniment léger.

Cette civilisation de la lég

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